Thomas DAY
FOLIO
414pp - 9,90 €
Critique parue en octobre 2020 dans Bifrost n° 100
Du Londres victorien à Londen – où réside Sherlock Holmes et où les humains cohabitent avec les Worsh, sortes d’oursons attendrissants à l’origine d’avancées technologiques –, de Cuzco au Machu Picchu en passant par une vallée perdue – défendue, comme il se doit, par des dinosaures –, de la Cité interdite de York à un atterrissage imprévu sur un gâteau de mariage dans une maison de retraite au cœur de la campagne anglaise, vous verrez du pays avec L’Instinct de l’équarrisseur !
Thomas Day nous emmène sur les pas de Conan Doyle à la poursuite de Jack l’Éventreur. Deux fois, même, car au diable l’avarice quand on est en bonne compagnie, avec Oscar Wilde dans un monde, Sherlock Holmes et le docteur Watson dans l’autre, excusez du peu. Choisi par Holmes pour rendre compte de ses enquêtes, son alter ego ayant tragiquement disparu dans un accident de charrette de fumier, Doyle se retrouve à naviguer entre deux mondes parallèles, embarqué dans des aventures épiques par un Watson ventripotent, gouailleur, inventeur génial (quoique ses prototypes laissent à désirer pour ce qui est des atterrissages) et capable d’utiliser ses Colts en plein restaurant pour venir à bout d’un crabe gargantuesque. La personnalité de Holmes est néanmoins bien plus ambiguë, voire monstrueuse, que celle du personnage de papier que l’écrivain Doyle crée dans son propre monde (« Le mal par le mal », le définit-il sobrement). Assassin royal prenant plaisir à tuer, il vit en couple avec Shari, femme forte dont la beauté et l’étrangeté le séduisent autant qu’elles l’intriguent…
En guise d’entractes, on suit E. « Shiva » Worrington, don les crimes n’ont rien à envier en sauvagerie et en horreur à ceux de son maître et compagnon Moriarty, dans sa conquête du Machu Picchu. Sa rencontre avec Jack London, qu’elle recrute comme mercenaire à cette occasion, la déstabilise et fait d’elle une pièce maîtresse dans la bataille qui voit s’affronter une dernière fois Holmes et Moriarty pour la possession d’un vaisseau interstellaire.
L’Instinct de l’équarrisseur déborde de monstres, de gore, de sexe, de repas arrosés et de gueules de bois, de collectionneurs d’images animées de dinosaures, d’oursons qui confondent les piles ZX81 avec les ZX83 (c’est fâcheux : « elles font exactement la même taille, mais les 83 sont dix fois plus puissantes, avouez que c’est trompeur. »), d’attaques d’aérostats… Rythme effréné, personnages truculents, c’est un feu d’artifice permanent. Thomas Day joue à nous faire éprouver une large palette d’émotions, l’horreur de certaines descriptions étant amortie par des passages d’une trivialité réjouissante.
Roman aussi référentiel et documenté que drôle et déjanté, L’Instinct de l’équarrisseur propose, au travers d’une quête de l’immortalité et du pouvoir, une réflexion sur ce qui caractérise l’humanité et sur les actes qui conduisent à sa perte. Et quand il s’achève sur un projet grandiose et une dernière boutade, on n’a qu’une envie : que Thomas Day nous replonge dans de nouvelles aventures de Watson et Doyle !