Vous connaissiez l'anthologie Vampires — Dracula et les siens, chez Omnibus ? Oui ? Elle était complète, selon vous, n'est-ce pas ? Hé bien elle ne l'est plus. Il va désormais falloir la livrer avec un addendum de quelques centaines de pages : le roman de Françoise Sylvie Pauly. L'Invitée de Dracula est en effet à ranger dans la catégorie des nombreuses suites du roman de Bram Stoker. On dira même que c'en est une excellente continuation, qui en restitue à la fois le style et l'esprit. Les allusions y sont plus que nombreuses, jusque dans l'ordre de succession des correspondances échangées par les protagonistes et l'organisation de celles-ci dans les chapitres. Ainsi, le chapitre 7 des deux romans respectifs, par exemple, qui s'ouvrent l'un et l'autre sur une « coupure du Dailygraph collée dans le journal de Mina Harker ». De même, de toute évidence, les deux épilogues sont faits pour être lus en parallèle. On n’échappe pas à quelques clins d'œil, comme celui du passage rapide, au premier chapitre, d' « Abraham Stoker, chroniqueur théâtral à la plume fort bien aiguisée ». L'autrice s'est également inspirée, dans les dernières scènes, de la nouvelle de Stoker « L'Invité de Dracula », et a emprunté son personnage de Karmilla au célèbre texte de Sheridan Le Fanu. Autant de sources qu'on ne pourra pas reprocher à Pauly de ne pas reconnaître : à la fin du roman, elle nous donne elle-même la bibliographie dans laquelle elle a puisé.
L'histoire est simple : le petit Quincey a grandi, Lord Godalming s'est marié et tout va pour le mieux... Jusqu'à ce que se produisent deux étranges événements. Le professeur Van Helsing informe en effet Jonathan Harker qu'un tableau représentant Vlad Tapes, alias Dracula, a été retrouvé dans un cimetière près de Munich. Le vieux savant veut évidemment en savoir plus... Dans le même temps, à l'occasion de la nouvelle escapade de son mari dans les Carpates, Mina rend visite à Lady Godalming. Elle y rencontre une jeune femme, mystérieuse et fascinante, nommée Karmilla. Et c'est alors que tout recommence, remettant en question le quadruple meurtre libérateur de la fin de Dracula.
L'intérêt, pour qui n'est pas un spécialiste des vampires, c'est la richesse des passages historiques, qui remettent de l'ordre dans la succession des événements de la vie de Dracula et jettent la lumière sur des choses que Stoker avait laissées dans l'ombre. On remarquera en particulier le très attachant récit de la vie de l'épouse du Comte Dracul, marquée au sceau du malheur. De même, le personnage du frère de Dracula, Mircéa, prend corps de manière sensible et contribue à éclairer la personnalité de l'Empaleur. En fait, on peut dire que les personnages du roman acquièrent une consistance romanesque qui était, chez Stoker, réservée aux « vivants ». Les non-morts ont ici droit à un passé, un vécu réel... Ensuite, libre à vous d'apprécier ou non ce qui peut passer pour une forme de « désacralisation » du mythe et du mystère...
Reconnaissons enfin à l'écriture de Pauly une vraie limpidité ainsi qu'un style « à la Stoker » fort bien manié, d'où une lecture agréable. Une médaille qui a néanmoins son revers : le style stokérien tellement respecté confère au texte un certain manque d'originalité. Car s'il est vrai que, lorsqu'on entre dans le filon vampirique, il y a beaucoup de passages obligés et, sans aller jusqu'à imaginer, comme Spinrad dans Vamps, que Dracula puisse un jour devenir accro à l'héroïne, le lecteur est en droit d'espérer un juste milieu. Voilà de toute évidence un roman qui séduira les amateurs de fantastique ultra classique et ceux que les avatars de Dracula passionnent. Reste que, pour qui s'attend à quelque chose de novateur, spécialement s'il a des vues S-F, inutile d'y songer.