Si Super 8 éditions n’a pas pour finalité de présenter des romans faisant l’objet d’une option par le cinéma, ça y ressemble beaucoup. L’Obsession devrait ainsi être adapté par la Warner, avec dans le rôle principal Bradley Cooper, dont on se souvient de la prestation dans Limitless, film issu de Champs de ténèbres (Alan Glynn), roman de SF auquel celui de James Renner n’est pas sans faire écho.
Zoom avant sur le récit. David Neff est l’auteur d’un immense best-seller, Le Protégé du tueur en série, qui, selon Rolling Stone, l’impose comme « le meilleur auteur de récit criminel depuis Truman Capote ». Il n’est toutefois pas sorti indemne de l’enquête qui l’a obsédé durant des années. Elizabeth son épouse, au caractère instable depuis une tragédie survenue durant l’enfance, et qu’il a délaissée, s’est suicidée après avoir accouché de leur fils (Tanner, auquel, par mise en abîme, le roman est dédié). David est accro au Rivertin, un antidépresseur aux effets terrifiants en cas de sevrage hâtif, et il n’écrit plus. Le poussant à renouer avec le succès, son agent lui parle d’une affaire singulière : celle du meurtre d’un vieillard reclus et excentrique, l’homme de Primrose Lane, que l’on a retrouvé avec une balle dans la poitrine et les doigts passés au mixer. Un comble, pour celui qu’un policier local surnommait « L’homme aux mille moufles ». Il apparaît assez vite que la victime était riche et qu’elle emboîtait les identités d’emprunt. David Neff va s’intéresser au meurtre, pour découvrir qu’Elizabeth était une intime du vieil homme.
Dans son intention et sa structure, le roman de James Renner est hétérogène. Difficile d’expliquer plus avant sans déflorer une grande partie de l’intrigue. Aussi évoquerons-nous seulement la première couche du récit, celle qui se présente immédiatement au lecteur : une intrigue policière où les enlèvements de jeunes filles ont la part majeure. Détail qui prend tout son sens lorsqu’on sait que l’auteur s’est lui-même consacré dès l’âge de onze ans à la bien réelle affaire Amy Mihaljevic, enlevée puis tuée en 1989. Année où la sœur jumelle d’Elizabeth est kidnappée dans le roman, ce dernier mentionnant page 407 Amy Mihaljevic dans une vie alternative, comme si James Renner souhaitait lui donner une seconde chance. Jusque-là, L’Obsession est un récit magistral, dont les brusques sautes du réel trouvent explication : « Tout cela n’était-il qu’une fugue dissociative due au sevrage » ? (page 409). Et puis tout bascule dans un genre qui justifie la critique du roman dans Bifrost, sans que l’on en dise davantage.
Cela, pour l’histoire. Maintenant, ce qui en est de la forme. James Renner multiplie les références, avec une honnêteté confondante mais une maîtrise plus ou moins assurée. Ainsi le ton général en Twilight Zone est-il revendiqué par une simple mention à Rod Serling page 373. Par contre, l’admiration sans borne qu’il voue à King est probablement trop appuyée : King est le pseudo d’un personnage ; les « cigarettes mentales » renvoient à la clope clôturant le point final d’un manuscrit dans Misery ; l’épisode de la visite chez les grands-parents (pp. 330 sq) relève du pastiche dévot. Enfin, les emprunts atteignent au lourdingue avec un caisson permettant les duplications d’identités et les voyages spatio-temporels mis au point par Tesla, qui évoque forcément Le Prestige (livre de Christopher Priest ou film de Christopher Nolan ?).
Le roman n’est pas non plus exempt de maladresses. L’un des personnages se dé-fend d’être reporter pour gagner la confiance de quelqu’un, puis trois pages plus loin, impose son autorité auprès de la même personne en tant que « journaliste au long cours ». Dans l’incapacité de bouger, le héros souffle sur un gros câble électrique jusqu’à le faire se balancer et s’en saisir : une capacité pulmonaire digne de Mae West ! De même, le héros est saisi d’une révélation page 488, qu’un lecteur en état de mort cérébrale a déjà depuis longtemps appréhendée.
La traduction, excellente, au début, paraît s’essouffler à mesure, laissant passer l’habituelle et agaçante confusion entre « gâchette » et « détente » (quand on traduit du polar, il faudrait s’informer), ou, page 511, une répétition douloureuse : « L’écran de séparation qui séparait ».
Au final, après une attaque remarquable, le caractère de l’obsession laisse place à celui, tout aussi lancinant, de l’ennui. Un bilan mitigé, enthousiaste quant à la partie policière, décevant pour ce qui relève du changement de registre en forme de retournement et de son exploitation.