Nous voici aux prises avec un planet opera mâtiné d’un zeste de fantasy indispensable au « bon » fonctionnement de l’intrigue. Ataraxia — absence de trouble ; état de tranquillité de l’âme qui définit le bonheur — est un monde créé par François Bournaud, qui en a dessiné les cartes, inventé la faune et la flore assez peu différentes de ce que l’on connait ici, et a déterminé la manière d’y vivre des humains arrivés sur ce monde idyllique mille ans plus tôt… La société des colons terriens, nommés « exo », repose sur sept principes sacrés auxquels chacun doit une stricte obéissance : Solidarité, Connaissance, Parcimonie, Mémoire, Respect, Liberté et Découverte. Certains étant bien sûr antinomiques entre eux sans que cela dérange ni le créateur (Bournaud) ni l’auteur (Maugenest). Le but de ces principes étant de ne laisser aucune empreinte écologique sur Ataraxia — mais on notera qu’il y a toutefois des espèces à protéger car, en fait, tout cela va au-delà d’une empreinte écologique zéro, pour une empreinte négative. « La planète Ataraxia (…) est réputée intangible, inviolable et indivisible. (…) Chaque exo s’engage à la respecter, à la préserver dans son état originel… » (p. 23) C’est-à-dire qu’il est ici question d’une évolution naturelle bloquée ; au temps pour les systèmes écologiques, par nature en perpétuel déséquilibre et fruits d’ajustements constants. Dans ce roman, la monnaie est diabolisée. Or, comme toute invention (le nucléaire, la morphine, le téléphone, l’automobile, etc.), la monnaie peut être utilisée en bien comme en mal, d’autant qu’à l’instar des avions, la morale est à géométrie variable, le bien étant conforme à l’intérêt de celui qui l’édicte. Les Ataraxiens sont des nomades vivant dans le dénuement, mangeant ce qu’ils trouvent sur le chemin. Tigres, scorpions et cobras sont aussi absents de ce monde que la malaria, la grippe ou la diphtérie… et même l’hiver ! Le monde des Bisounours en cosmos… Il n’y a pas d’élevage, les animaux sauvages se prêtant volontiers à la monte et se laissant bouffer au besoin. Il y a de l’agriculture, ce qui implique à la fois la sédentarité et une empreinte écologique non nulle quand bien même serait-elle fondée sur les modèles collectivistes du kibboutz ou du kolkhoze. Il existe sur Ataraxia un ordre supérieur chargé de faire respecter les principes sacrés de la société et de sanctionner les contrevenants, allant jusqu’à bannir ces derniers sur les îlots les plus inhospitaliers de ce monde. Ces « sages », sommet d’une religion laïque de la nature, ont conservé par devers eux l’accès à la très haute technologie spatiale pour maintenir le gros de la population sous leur coupe. Ça rappelle curieusement la tranquillité du Meilleur des mondes, mais les créateurs d’Ataraxia ont une vision en opposition totale à celle d’Huxley.
Amos de Slima est un jeune docte, turbulent mais brillant, censé être élevé au rang de sage. Or, au tout dernier moment, le conseil se ravise et non seulement renonce à sa nomination, mais le déchoit de tous ses titres sans justification ni question quant à ce subit revirement. À la suite de quoi Amos vole une précieuse relique technologique qui lui vaut d’être traqué comme une bête — avant que, au bout du compte, la relique lui soit reprise sans que l’on sache jamais pourquoi il s’en était emparé… Il apprend plus tard que c’était là un piège du conseil pour mettre à l’épreuve son humilité et sa soumission. Par une pirouette de l’auteur, cette manigance sera ultérieurement imputée à Naxès, le grand méchant de cette histoire, qui rêve d’introduire dans ce monde la monnaie, l’économie de marché, le crédit, le salariat… La question étant, bien sûr, de savoir si le vil Amos parviendra à ses fins.
Si la lecture n’est pas désagréable, en dépit de quelques lenteurs, le livre irrite profondément en raison des innombrables contradictions dont il est perclus. Les incohérences foisonnent et mettent notre suspension de l’incrédulité à rude épreuve. Les protagonistes ont la faculté de projeter leur esprit dans le corps d’oiseaux pour voir au loin, et même à travers le temps, brin de fantasy qui arrive là, en pleine SF, comme un cheveu sur la soupe. On ne croit pas à ce monde idéal qui rappelle beaucoup « Marée montante » de Marion Zimmer Bradley. On ne croit pas un instant à cette harmonie avec la gente animale digne du jardin d’Éden qui évoque, au choix, le film Avatar ou Shikasta de Doris Lessing. On ne croit pas à ces gens qui savent tous tout faire : tisserand, forgeron, charpentier naval, agriculteur… On ne croit pas à la navigation hauturière en solitaire sur des coquilles de noix low tech. On ne croit pas que la population vive dans la plus parfaite béatitude sans pouvoir améliorer son sort quand l’idée lui en vient. Bref… on n’y croit pas ! Du tout.