Bo-young KIM
RIVAGES
272pp - 22,00 €
Critique parue en janvier 2024 dans Bifrost n° 113
L’Odyssée des étoiles agrège trois livres distincts publiés indépendamment en Corée en 2020. Le sommaire contient donc trois parties, respectivement intitulées « Je t’attends », « Je viens vers toi » et « Ceux qui vont vers le futur ». Il s’agit, à en croire l’éditeur, du « premier roman de SF coréen à paraître en France ».
L’humanité étant enfin capable de se déplacer dans l’espace à des vitesses relativistes, un problème se pose : celui du décalage temporel. Le temps du voyage devient différent du temps terrestre, et partir quelques mois vous fait revenir sur une Terre où plusieurs années se seront écoulées. Aussi, lorsque deux jeunes amoureux doivent se marier mais que la fiancée doit entreprendre un périple interstellaire, le futur mari n’a d’autre choix que d’embarquer sur un vaisseau empruntant l’orbite de l’attente, ellipse circumsolaire qui permettra aux tourtereaux de faire concorder leurs temps.
« Je t’attends » et « Je viens vers toi » forment ainsi le récit épistolaire d’un jeune couple coréen qui correspond à travers l’éther infini. Mais plusieurs incidents retardent leurs vaisseaux de quelques mois, mois qui deviennent sur Terre des années, puis des siècles, des millénaires. Bientôt leurs lettres n’obtiennent plus de réponse. Les deux amants errent alors dans l’espace et le temps à la recherche l’un de l’autre, se questionnant sur la finitude de leur romance et la survivance d’un amour réciproque à l’épreuve du temps relativiste.
« Je t’attends » devient ainsi un monologue, un carnet de bord, le récit d’un homme qui explore un avenir pas franchement radieux dans l’espoir d’y retrouver sa promise. « Je viens vers toi » reprend le même récit, du point de vue de la jeune femme amoureuse. Les deux récits s’entrecroisent subtilement au fil des confrontations avec une humanité décadente fuyant une Terre moribonde en voyageant vers l’avenir. La troisième partie, « Ceux qui vont vers le futur », est l’histoire de leur fils, un voyageur du temps se déplaçant en permanence dans l’espace et vers le futur, en quête d’un chemin vers les confins de l’univers.
Le conte romantique interstellaire se meut ainsi en réflexion sur la temporalité de l’être et l’avenir du monde, pour se métamorphoser enfin en une méditation sur l’essence même de l’univers. Le romantisme des deux premiers récits évoque un Barjavel mâtiné d’exotisme levantin, et certaines péripéties spatiales semblent inspirées du Pour une autre Terre d’A. E. van Vogt ; quant au dénouement saisissant, il présente certaines analogies avec celui de 2001, l’odyssée de l’espace d’Arthur C. Clarke, et on comprend pourquoi l’éditeur français a choisi d’utiliser un titre si évocateur… Avec L’Odyssée des étoiles, Kim Bo-young choisit cependant de jouer avec la physique théorique, mais la hard science cède ici la place à une réflexion plus philosophique sur la porosité de la frontière entre l’espace et le temps, offrant au lecteur ce sense of wonder tant recherché, cet émerveillement mystico-scientifique si caractéristique des épilogues clarkéens.
Un voyage dans l’espace est-il avant tout un voyage dans le temps ? Le style de l’autrice coréenne, empreint d’une poésie fluide, limpide et un brin rêveuse, nous plonge avec délicatesse dans une métaphysique fascinante. Elle nous propose un space opera où les outre-mondes ne sont pas issus d’autres systèmes stellaires, mais d’autres temporalités, où voyager vers les confins, c’est aussi explorer le concept même d’éternité. C’est beau, c’est vertigineux, c’est passionnant, ça se lit d’une traite, c’est le récit de la plus ultime de toutes les odyssées imaginables, celle qui vous emmènera au-delà des frontières de l’espace et du temps. L’Odyssée des étoiles dévoile ainsi tout en douceur une vertigineuse réflexion sur notre place temporelle dans l’Univers.