Attention chef-d’œuvre. Peut-être l’un des dix ou douze ouvrages majeurs produits par la SF.
Richard Cowper, John Middleton Murry Jr. pour l’état civil, est le fils en secondes noces de l’un des plus célèbres critiques des lettres anglaises de son temps, qui fut tout d’abord l’époux de l’écrivaine lesbienne néo-zélandaise Katherine Mansfield. Issu d’un milieu où l’on fréquente D. H. Lawrence ou Virginia Woolf, des cercles les plus relevés d’une littérature britannique alors à son sommet, comment dès lors s’étonner que Richard Cowper produise l’une des œuvres SF les plus littéraires qui soient ?
L’Oiseau Blanc de la Fraternité est peut-être la seule fiction spéculative se penchant sur l’avenir de la Chrétienté – pas de la religion, mais bien de la chrétienté –, à laquelle Richard Cowper, croyant sincère et d’une tendance plutôt conservatrice, tient beaucoup.
Dans 1000 ans, à l’aube du IVe millénaire, les eaux ont monté, transformant l’Angleterre en un archipel de royaumes insulaires – on apprendra dans le deuxième tome que c’est l’effet du réchauffement climatique. La civilisation s’est effondrée, faisant place à un nouveau Moyen Âge dominé par une église obscurantiste et réactionnaire et ses faucons sanguinaires. Épuisée, la population place ses espoirs dans l’avènement de temps meilleurs représentés par la Fraternité de l’Oiseau Blanc. Mais l’église, qui ne l’entend pas de cette oreille, persécute les frères de son mieux, creusant par-là la fosse où elle sombrera. Ainsi, frère Thomas de Norwich, promis à la noyade, n’y échappe que parce que l’esprit d’un homme du xxe siècle, Michael Carver, projeté lors d’une expérience psychique, vient habiter les tréfonds de sa conscience, rattachant ainsi La Route de Corlay à la SF.
Dans les tomes suivants, glissant vers la fantasy, nous accompagnons son fils, Thomas de Tallon, alors que l’église chrétienne achève de mourir et que la Fraternité de l’Oiseau Blanc prend le relais sous l’égide de frère Francis. Richard Cowper nous montre la Fraternité s’engageant sur les chemins même où s’est fourvoyé l’ancienne Chrétienté, et nous laisse nous interroger sur l’aptitude de Thomas de Tallon à en infléchir la voie. Sans oublier, bien sûr, le prix qu’il conviendra d’y mettre…
Tout ceci dans « une prose élégante, précise et somptueuse », nous dit Christopher Priest, forte d’une rare puissance d’évocation, comme pour le passage de la mort de Charmeuse avec la loutre, entre bien d’autres… Une lecture magnifique qui ne saurait laisser indifférent, assurément. Une œuvre majeure, oui, je confirme.