Joli roman sur le travail de mémoire, la fuite du temps, le deuil et l'enfance, L'Oiseau impossible se donne des faux airs de thriller hardboiled pour mieux embobiner ses lecteurs et les surprendre dans le meilleur sens du terme. Avec un scénario aussi rythmé que peu avare en cliffhangers, Patrick O'Leary construit son livre comme une toile machiavélique, mélangeant polar, S-F pure et dure et introspection. Bilan, un texte touchant, rageur, mélancolique et passionnant, servie par une écriture parfois calme, souvent nerveuse, jamais vaine et toujours percutante (on souligne au passage l'excellente traduction — une habitude — de Nathalie Mège).
Difficile de résumer l'intrigue de L'Oiseau impossible sans trop déflorer ses surprises (et il y en a beaucoup). On pourrait bien sûr citer Matrix pour tout ce qui concerne la réalité virtuelle, mais ça ne rend pas justice au roman, tant il s'agit là d'un Matrix cérébral et subtil. Bref, c'est l'usage dans la collection « Interstices », difficile de définir un livre qui échappe à tous les cloisonnements tout en les utilisant avec brio. Disons pour simplifier que l'histoire tourne autour de deux frères séparés par la vie (l'un professeur terne, l'autre publicitaire cynique) dont l'univers bascule le jour où de mystérieux hommes en noir (théorie du complot oblige) les contactent séparément et leur ordonnent (de façon très désagréable) de se retrouver l'un l'autre. Voilà pour l'alibi thriller qui, on l'a vu, se désintègre bien vite au profit d'une histoire à la construction impeccable, hantée par des flashbacks aux conséquences parfois incalculables (à ce titre, une fois le roman terminé, relisez les dix premières pages, vous ferez quelques découvertes intéressantes). Ensuite, comment dire ? Ensuite, L'Oiseau impossible prend des airs abracadabrantesques, mais avec une telle poésie et une telle intelligence de propos que la pilule (pourtant énorme) passe sans la moindre gêne. Eternel génie de la littérature qui n'a parfois même pas besoin d'une suspension de la crédibilité… Patrick O'Leary parle de l'humain et de lui seul, le reste n'est que quincaillerie inutile dont il faut se débarrasser au plus vite pour se consacrer à l'essentiel. Et ça marche. L'Oiseau impossible en devient probablement l'une des meilleures histoires de réalité virtuelle (et tordue) jamais couchée sur le papier. Toujours sensible, toujours attachante, toujours belle (un concept curieux, mais véritablement présent ici), la trame narrative est un monument de douceur dans un contexte monstrueux. Une vraie surprise et un auteur dont on aimerait lire les autres productions de toute urgence.