« Nom de Dieu… souffla Martin en levant la tête.
– Je crois que c'est vraiment le cas de le dire, murmura Isabelle comme pour elle-même.
– Qu'est-ce que c'est ? demanda Martin, tout en sachant que la jeune femme n'avait évidemment aucune réponse à une telle question.
Face à eux, taillé à même la roche, un immense portique de pierre rouge, lisse, aux angles parfaitement ajustés, les dominait. Derrière, on pouvait deviner un large couloir qui s'enfonçait dans l'ombre. Martin se retourna un instant pour contempler le paysage, comme pour s'assurer qu’ils étaient bien sur Mars. »
L'actualité Martienne (ak, ak, ak !) et le nombre impressionnant de sondes ayant raté lamentablement leur mission d'exploration de la planète rouge, devaient conduire à la parution d'un tel roman.
En d'autres temps, un vaillant équipage se serait crânement lancé dans un voyage de plusieurs mois pour découvrir oh surprise, oh merveille , des monstres tentaculaires montés sur tripodes (pour peu qu'on se situe dans les années 1880) ; une reine pulpeuse ovipare régnant sur des canaux et aux prétendants jaloux (version 1920) ; une horde de télépathes xénophobes (pour la période 1950) ; personne en particulier (vers 1970-80) une force mystérieuse et hostile de type spectral découverte par le gouvernement depuis longtemps (préférablement américain, le gouvernement), mais qu'il s'efforce de nous cacher et qui prend possession de nos valeureux astronautes, le tout avec la bénédiction d'un homme à la cigarette (disons, dans les années 1990).
Il fallait bien une bonne âme pour nous aider à nous retrouver dans tout Cherchez plus, la, ou plutôt les, voilà ! Raymond Clarinard et Michael Ollivier ont opéré une sorte de synthèse de prés d’un siècle de fiction martienne en nous offrant, dans le même roman, les monstres tentaculaires (version cyborg), la reine pulpeuse (malheureusement nous ne saurons jamais si elle est ovipare), le télépathe xénophobe impérialiste (réduit en l'état d'un cylindre) et le complot incarné dans un seul homme, l'infâme et paranoïaque commandant de bord Langdon. Pour se mettre au goût du jour, l'équipage sera internationalisé (un Russe, un Américain, une Française, un Japonais)… mais on ne peut pas dire que les particularismes ethniques aient été particulièrement fouillés, et le tout est saupoudré de détails documentaires, d'abord convainquant, puis, petit à petit, de en moins.
Pourquoi ? D'abord parce l'idée du complot ne tient pas debout. En effet, pour quelle obscure raison envoyer un équipage (civil, dont une femme enceinte !) dans une mission, selon toute probabilité, de contact extraterrestre, sans une information complète sinon pour les envoyer au casse-pipe !? Et puis, quand on complote, autant le faire dans les formes : au minimum deux complices dans le coup — voire, le cas échéant, l'un incognito surveillant l’autre (Octobre Rouge, Alien sont des exemples d'ennemis intérieurs réussi). Et puis le véritable problème, à savoir comment monter une mission de reconnaissance avec possibilité de contact, a été totalement escamoté. Franchement, si le fin mot de l'histoire était de faire dans le Search & Destroy, il fallait envoyer les Marines !
Côte Martiens, et malgré une haute technologie en matière d'animation suspendue sans oublier un savoir-faire astronautique certain — on n'a pas non plus véritablement calculé. Pourquoi ne pas avoir cherché à préserver un minimum de l'écologie martienne et de diversité génétique, parmi les individus rescapés du cataclysme ? Juste au cas où les vaisseaux indigènes ne reviendraient pas de par-delà la Barrière des Roches, par exemple (quelle idée, d’ailleurs, d'aller coloniser Jupiter quand une jolie planète bleue les attend un peu plus près du Soleil). Quelle civilisation parvenue à l'âge stellaire aurait-elle conservée le degré de finesse sociale et diplomatique de Gengis Khan ? Pourquoi user d'armes et d’armées de destruction quand on maîtrise à ce point la manipulation mentale ? Aussi on se pose la question : les Martiens sont-ils complètement stupides ?
Viennent après de purs problèmes de documentation. Je ne citerais que les plus flagrants. Qui sont ces astronautes qui n'ont ici aucune notion de mise en quarantaine (cf la scène homérique dans la crypte pressurisée où les héros vont découvrir leur Reine) ? Qui ne consacrent pas une seconde de leur temps à l'exercice physique sans lequel la masse musculaire fond en quelques jours faute de pesanteur ? Et qui ignore les règles de contraception élémentaire en cas de voyage spatial, n'est-ce pas, Nadia Gorbunova? Quel dommage, incidemment, que les auteurs n'aient jamais entendu parlé de la Grande Ghoule Galactique (« Great Galactic Ghoul »), une vraie légende de la conquête spatiale…
Alors, que nous reste-t-il ? Un projet de départ ambitieux. Un petit côté pulps pas désaqréable. Une lisibilité très correcte qui nous épargne les scènes sexe et gore inutiles (attention, pas les beuveries — « vous reprendrez bien un peu de caviar ? »). Bon, allez. Malgré de flagrantes incohérences, tout ça demeure tout de même plutôt prometteur. Qui sait, si Clarinard et Ollivier récidivent en poussant la logique et le détail documentaire de leur récit peu plus loin, Mars ne demeurerait pas totalement dans l'ombre ?