Quatrième recueil de Sylvie Lainé aux éditions ActuSF, L’Opéra de Shaya propose quatre textes écrits en 2013 et 2014, répartis pour moitié entre inédits et reprises, le tout agrémenté d’une préface et d’un entretien signés Jean-Marc Ligny. Les nouvelles ont toutes pour décor l’espace, et plus particulièrement des planètes sur lesquelles les protagonistes vont nouer le contact avec les autochtones, parfois sans le savoir.
Ainsi, dans « Un amour de sable », où un géologue prélève du sable pour des examens, ignorant que celui-ci est une créature à part entière et à l’échelle de la planète. Plutôt que de l’amputer, ce prélèvement va être source d’enrichissement pour le sable, dont la partie manquante, une fois remise sur le sol de la planète, pourra faire profiter de ces expérimentations au reste. Une tentative de décrire l’Autre relativement efficace. Contact aussi dans « Petits arrangements intragalactiques », nouvelle gag en hommage à Robert Sheckley, où un homme va tenter d’approcher des E.T. à la forme de grosses vaches roses, déguisé en sapin. Mineur, ce texte réussit néanmoins à retrouver le charme des nouvelles humoristiques de l’âge d’or de la SF. Le contact est un petit peu plus étonnant dans « Grenade au bout du ciel », grenade étant à prendre ici au sens du fruit à alvéole plutôt qu’à celui d’arme. Cette fois-ci, les interactions avec les habitants de la planète restent extrêmement faibles puisque les astronautes préfèrent s’intéresser à un satellite artificiel (alors qu’aucune technologie n’existe sur le monde autour duquel il orbite). Celui-ci se révèle un container à rêves et cauchemars amenés à contaminer les explorateurs. Un texte évocateur, poétique, dont la fin extrêmement ironique évoquant l’avenir de ladite grenade résonne douloureusement. On en vient maintenant au plat de résistance, curieusement situé en début de recueil, à savoir la novella qui donne son titre à l’ouvrage. Une jeune femme désœuvrée, So-Ann, entend parler d’une planète qui accueille les étrangers avec parcimonie pour mieux les intégrer. Une fois sur place, elle se rend compte du caractère idyllique de Shaya : tout est fait selon ses désirs. Littéralement. La faune et la flore, en plus de susciter un émerveillement permanent de par leur diversité, s’imprègnent de son ADN pour se recomposer comme elle en a envie. Les plantes et les bêtes se modifient peu à peu, pour lui proposer des fruits à son goût ou des animaux de compagnie intelligents et prévenants. Le paradis est d’autant plus à portée de main que So-Ann fait la connaissance de Nico, déjà imprégné par un autre être humain, et donc suffisamment proche du compagnon idéal pour la jeune femme. Toutefois, Shaya est une planète qui a ses propres codes, que So-Ann devra respecter, dût-elle en souffrir personnellement… Tous les ingrédients d’un très grand texte sont ici réunis : la capacité d’émerveillement, des personnages attachants abordés avec une grande finesse psychologique, une description extrêmement précise et crédible d’une société autre, sans oublier une pointe d’humour et de cruauté pour assaisonner le tout. Bref, une novella qui a elle seule fait de L’Opéra de Shaya une lecture hautement recommandée, et confirme tout le talent de nouvelliste de la très (trop ?) discrète Sylvie Lainé.