Katherine ARDEN
DENOËL
368pp - 21,90 €
Critique parue en avril 2019 dans Bifrost n° 94
Inspiré de contes russes, L’Ours et le rossignol, opus initial d’une trilogie, est aussi le premier roman de son autrice, Katherine Arden. Il emmène le lecteur au Nord de la Russie médiévale, ou plutôt la Rus’, puisque, à cette époque, la Russie n’existait pas. Les Rus’, peuple scandinave à l’origine, étaient dirigés par des knèzes, des nobles rivaux, dont l’allégeance allait aux seigneurs mongols. Le peuple vient de se convertir au christianisme sans avoir complètement oublié ses anciennes croyances. Il continue à honorer les domovoï, ces esprits protecteurs des maisons, et à craindre les créatures qui hantent les lacs et les forêts.
Le tsar, deux fois veuf et tombé sous le charme d’une belle inconnue à qui l’on prête le pouvoir de parler aux animaux et que les évêques ne tardent pas à qualifier de sorcière, est obligé d’éloigner de Moscou leur seul enfant, une fille. Marina épouse donc un boyard de la Rus’ septentrionale, Piotr Vladimirovitch. De cette union heureuse naissent quatre enfants, enjoués et résistants. Marina tombe à nouveau enceinte, d’une fille qui sera, selon elle, comme sa mère. Elle meurt en mettant au monde Vassilissa en novembre. Dounia, sa servante, élève les enfants et les régale de contes au coin du feu les soirs d’hiver. Sur l’insistance du tsar, maître des intrigues de la cour, Piotr se remarie avec Anna Ivanovna, une dévote qui, elle aussi, voit les esprits. Loin de considérer cette particularité comme un don, elle espère que sa piété et les offices du père Konstantin la guériront de sa différence. En marâtre identique à celles des contes, elle prend en grippe la petite Vassia, bien décidée à grandir aussi libre que ses frères, et réfractaire à toute contrainte. Ses pouvoirs attirent rapidement l’attention de Morozko, le roi de l’hiver qui lutte contre le réveil de son frère maléfique Medved.
Katherine Arden parvient à recréer l’ambiance des contes et légendes slaves et à faire vivre un bestiaire fantastique aussi fascinant que dangereux. Elle immerge son lecteur dans le folklore russe, sa poésie et les interminables hivers de ses contrées les plus reculées. Roman d’apprentissage centré sur la jeunesse de Vassia, qui, entourée d’une famille bienveillante et tolérante, se construit en opposition à la norme donnant aux femmes un rôle des plus restreints (épouse, mère et femme au foyer), L’Ours et le rossignol propose aussi le récit de la transformation d’un monde et d’un conflit entre la foi chrétienne et la magie ancestrale. Cette société en plein basculement s’en trouve fragilisée, ce qui permet le réveil de redoutables forces immémoriales. Si le récit n’est pas parfait — il souffre d’un manque de rythme dans son premier tiers —, il reste impressionnant de maîtrise, surtout si l’on considère qu’il s’agit là d’un premier roman. Il offre aussi une fin satisfaisante qui permet d’attendre sereinement la sortie de la suite, The Girl in the Tower, traduite par Jacques Collin et annoncée pour août 2019.