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Les critiques de Bifrost

L'Unité

L'Unité

Ninni HOLMQVIST
TELEMAQUE
256pp - 21,50 €

Bifrost n° 64

Critique parue en octobre 2011 dans Bifrost n° 64

A 50 ans, parce qu’elle n’a ni enfant, ni compagnon attitré, Dorrit doit faire sa valise. Ne disposant pas d’un pouvoir d’achat suffisant, elle se voit contrainte d’abandonner son chien et sa maison, vendue aux enchères par l’Etat. Parce qu’elle ne produit rien d’utile pour la collectivité, elle rejoint les vies superflues encagées dans cette prison dorée appelée l’Unité, où on fait littéralement don de sa personne pour le bien-être d’autrui.

Les lecteurs chenus — mais pas trop quand même — n’auront pas manqué de le remarquer : par sa thématique, L’Unité rappelle Eternity express de Jean-Michel Truong. Le sujet est sensible, et pour cause ! Avec le réchauffement climatique, l’allongement de l’espérance de vie apparaît désormais comme une préoccupation majeure de nos sociétés. Une menace beaucoup plus tangi-ble que ce gaz à effet de serre dont on ne perçoit même pas les émanations délétères. Le troisième âge (voire le quatrième !) est là. On le croise dans la rue ou dans les magasins. Cœur de cible pour les commerciaux, ses membres consomment, votent et perturbent par leur longévité le pacte social. Tous ces papy-boomers perclus d’individualisme, comment faire pour qu’ils ne deviennent pas un fardeau pour la collectivité ? Avec moins de cynisme que l’auteur franco-vietnamien, Nini Holmqvist nous projette dans un futur indéterminé, mais que l’on ressent comme proche, aux apparences très policées. Démocratie et respect de la dignité sont en effet les maîtres mots des dirigeants de l’Unité. Ici, nulle police politique pour restreindre, contraindre ou réprimer. Juste un personnel formé aux méthodes psychologiques. Entre centre de remise en forme et programme d’expérimentation, entre activités artistiques et dons d’organe, les pensionnaires acceptent de bon gré leur condition. Tout au plus s’indignent-ils lorsqu’un test s’avère inutile ou bâclé. Mais cela ne va pas plus loin. Ils vivent dans un univers clos au confort qualité Ikéa, n’offrant aucune prise au temps qui passe et aux caprices de la nature. En somme, un emprisonnement de grand standing, sous la garde d’un personnel soucieux de la santé des pensionnaires, maternés par caméras de vidéosurveillance interposées, même aux endroits les plus intimes, car il faut éviter toute velléité suicidaire, histoire de ne pas gâcher le matériel. Et si jamais le moral défaille, des psychologues s’empressent de soigner les plaies de l’âme.

En arrière-plan de l’Unité se dévoile ainsi un futur où prévaut un utilitarisme forcené justifiant moralement la cannibalisation du corps des improductifs. Une société où on ne se soucie des individus que pour leur contribution à la collectivité. « Plus d’excuse pour ne pas procréer. Plus d’excuse pour ne pas se tuer au travail. » En som-me, un système social-capitaliste guère éloigné du modèle scandinave, où la compassion a remplacé la faculté à s’indigner ou à se rebeller.

On le voit, par son cadre L’Unité rappelle les joies de la dystopie, sous-genre dans lequel la Suède s’est déjà illustrée auparavant — on renverra les curieux vers La Kallocaïne, roman méconnu de Karin Boyle. Toutefois, le ton choisi par Nini Holmqvist et le traitement des personnages se rapprochent de Never let me go de Kazuo Ishiguro. Chronique d’une mort annoncée, le roman de l’auteure suédoise reste au final très égocentré. On s’attache aux pensées, aux souvenirs, aux peines de cœur et au quotidien de Dorrit, narratrice dont les sensations et les sentiments ont tendance à alourdir, d’un sentimentalisme parfois sirupeux, l’inhumanité du destin des pensionnaires. Le point de vue de Dorrit peut même agacer à la longue. Sans cesse en train de s’apitoyer sur son sort, le personnage n’attire pas vraiment la sympathie. Et les choses s’aggravent lorsqu’elle succombe au charme de Johannes, un fringuant sexagénaire. On se doute que la relation amoureuse de Dorrit est un exutoire lui permettant d’échapper au quotidien de l’Unité. Cependant, le roman bascule à ce moment-là dans la bluette sentimentale pour adolescentes. Fort heureusement, la réalité rattrape le couple, histoire de remettre les horloges biologiques à l’heure, et on retourne au meilleur des mondes.

Malgré ce bémol, L’Unité reste au final un roman troublant dont l’ambiance, empreinte à la fois d’humanité et de cruauté, dérangera plus d’une bonne conscience.

Laurent LELEU

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