Christopher MILLER
LE CHERCHE-MIDI
23,80 €
Critique parue en juillet 2014 dans Bifrost n° 75
Dans le cadre de la collection « Lot 49 », le Cherche-Midi propose de découvrir la vie et l’œuvre de l’écrivain de science-fiction américain Phoebus K. Dank (1953-2006). Obèse reclus, marié à de multiples reprises, écrivain compulsif, agoraphobe illuminé, manifestement fou, Dank n’a pas vécu pour voir la reconnaissance que ses textes connaissent depuis sa mort tragique. De nombreux films sont annoncés alors que les rééditions se multiplient. Ecrit à qua-tre mains par William Boswell et Owen Hirt, cette somme — intégralement constituée d’entrées alphabétiques — fait l’inventaire raisonné de ses romans et nouvelles, le tout agrémenté de plusieurs fiches biographiques. Les deux auteurs ont bien connu Dank. Boswell est le gardien du temple, il idolâtre Dank qui est à ses yeux le plus grand écrivain américain. Hirt, au contraire, le dénigre fielleusement. Chacun trouve dans l’écriture de cette encyclopédie un long défouloir à leurs propres carrières littéraires ratées. Le premier est un universitaire, qui a longtemps été son locataire et qui a passionnément consacré sa vie à l’exégèse dankienne. Le second est recherché par la police afin de l’entendre sur son rôle dans l’assassinat de Dank… Au fil des différentes fiches, il s’établit un dialogue à distance entre les deux hommes qui permet de comprendre le secret de la vie et de la mort de PKD. La science-fiction de Dank est d’une médiocrité assez constante, et, comme le reconnaît Boswell : « Le meilleur dans ses œuvres ce sont les prémisses — les idées étonnantes qui ont donné naissance aux nouvelles et aux romans. » Pétri d’obsessions adolescentes pour les femmes callipyges qui s’offrent à des héros virils à l’outrance, le corpus dankien est cependant parcouru de fulgurances, comme dans son roman Big Dick où il imagine un monde dans lequel un écrivain de science-fiction du nom de Philip K. Dick écrit un roman dont Phoebus K. Dank serait un personnage…
Ce roman du double se sert bien évidemment de la figure et de la vie de Dick pour créer son avatar fictif, Dank — procédé déjà utilisé par Steve Aylett dans sa biographie imaginaire de Lint (2005). Mais le propos n’est pas Dick lui-même, et encore moins l’histoire de la science-fiction. Le cœur du projet de Christopher Miller se dessine lentement, en kaléidoscope, à mesure que la lecture progresse. Il s’attaque aussi bien aux milieux universitaires que littéraires. Il s’attaque aussi à son lecteur en multipliant les pistes et axes de lectures (il est tout aussi possible de lire linéairement qu’en suivant les renvois de fiche en fiche.) Il parle de l’écriture et de l’imagination, du sublime et du minable, le tout dans un grand éclat de rire.
La mécanique du texte — entre délire organisé et satire méticuleuse — prend un tour particulièrement savoureux quand le traducteur, Claro (qui est aussi l’éditeur français du livre), entre également dans la danse, faisant partager ses doutes, soucis et inquiétudes sur son propre travail, s’avérant au final, pour notre plus grand plaisir, aussi peu fiable que les multiples auteurs du Guide du monde de Phoebus K. Dank.