L’Usine de porcelaine Grazyn est un fix-up du canadien David Demchuk, son premier. Intitulé The Bone Mother en version anglaise, il a remporté le Scotiabank Giller Prize 2017. Tournée une couverture sombre et peu explicite, le lecteur tombe sur « Maia », un texte d’une page très inquiétant par ce qu’il suggère. Puis, il lit « Boris », qui en quatre pages introduit l’usine de porcelaine et pose les caractères weird et noir des récits à venir ; c’est par des moyens bien peu ragoutants que sont fabriqués les très fameux dés à coudre Grazyn dont même la tsarine use, et la relation de commensalisme qui lie l’usine aux trois villages environnants qui lui fournissent son personnel est fondamentalement malsaine. Suivent 24 textes, de longueurs variables, qui mettent chacun en scène un personnage, humain ou pas. Tout est weird, tout est sombre, Demchuk convoque le peuple de la mythologie slave, il place son usine entre Ukraine et Roumanie, en un lieu menacé moins par les créatures de la nuit slave ou yiddish que par les exactions staliniennes (la famine notamment) ou la brutalité mortelle de la Police de Nuit, une milice cryptofasciste capable d’agir même à l’étranger pour rattraper ceux qui crurent lui échapper en s’exilant à un océan de distance.
Le père de Demchuk est d’origine ukrainienne. L’auteur — qui jongle à travers les continents et les époques, de la moitié du XIXe siècle aux temps présents — a donc puisé tant à la source d’un folklore ancestral qu’au cœur de l’histoire familiale pour montrer un monde en transformation dans lequel les monstres sont plus souvent des humains que ceux que leur physique ou leurs pouvoirs conduit à décrire comme tels. Il est à noter d’ailleurs que la seconde partie du fix-up, « La Police de Nuit », est plus convaincante et engageante que la première « L’usine de porcelaine Grazyn » ; après beaucoup de freaks et de magie arcanique, le retour des organisations humaines et de leurs crimes volontaires remettent de l’enjeu dans une énumération de personnages et de situations qui, à la longue, commençaient à faire un peu rengaine, d’autant que certaines chutes laissent le lecteur sur sa faim. Alors il y a, certes, plusieurs textes intéressants car vraiment surprenants ou dérangeants – une très émouvante histoire de golem par exemple –, il y a aussi quelque jolies phrases « Tricoter est une bonne façon de passer le temps quand on attend que quelqu’un meure », il y a enfin une plongée torturée dans une mythologie moins connue ici que les grecques ou scandinaves — entre strigoi, rusalka ou dame des bois. Il y a encore, disons-le, une collection de photos (une par texte), réalisées par un photographe roumain dans la première moitié du XXe siècle, qui donnent un ton et créent une ambiance. Mais l’accumulation, si elle sert à ancrer un lieu, fut-il mythologique, dans la réalité perçue du lecteur, met aussi en évidence le manque d’un vrai fil directeur qui l’entraînerait d’une introduction vers une conclusion. Certains fix-up passent le test de cet écueil avec succès, ici le nombre élevé des textes et leur petite taille rend l’exercice plus périlleux.
Et puis, il faut parler traduction. Je ne sais pas si les fautes de traduction tiennent à la traductrice ou aux particularités de la langue québécoise, qu’importe finalement, mais lire « Il a été frappé par une auto » pour décrire un accident de piéton ou onze fois au fil des pages « Je suis correct » ou « Es-tu correct ? » pour traduite « It’s ok » (et j’en passe bien d’autres) rend la lecture pénible car les imperfections langagières sautent trop aux yeux. Dommage.