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Les critiques de Bifrost

La Barrière Santaroga

La Barrière Santaroga

Frank HERBERT
POCKET
320pp - 7,70 €

Bifrost n° 63

Critique parue en juillet 2011 dans Bifrost n° 63

Jeune et brillant psychologue, Gilbert Dasein est mandaté par son chef de département pour effectuer un rapport sur la vallée de Santaroga, qui manifeste une apparente résistance au monde moderne : au-delà de ce qu’on appelle La Barrière, les produits habituels n’ont pas cours et personne n’est parvenu à y implanter de commerce. Pis : les deux précédents enquêteurs y sont morts accidentellement. Si Gilbert a été désigné, c’est pour avoir eu une aventure avec une de ses habitantes, Jenny Sorge, qui fut son étudiante à Berkeley. Ils mirent fin à leur liaison précisément parce que Jenny, n’envisageant pas de vivre ailleurs, n’avait pas réussi à le convain-cre de la suivre. C’est donc avec une certaine circonspection que Dasein se rend sur place. A l’hôtel, l’hostilité envers les étrangers est palpable, mais un accueil favorable lui est réservé quand on apprend qui il est. La rapidité avec laquelle l’information se répand est même suspecte, comme l’est cette sympathie acquise d’office.

Effectivement, la petite ville à l’aspect vieillot ne semble avoir besoin de rien, une coopérative produisant sur place l’essentiel de l’alimentation à base de jaspé, du nom d’un ingrédient local qui accompagne tous les plats et qu’on trouve aussi bien dans la bière que le lait. Très vite l’oncle de Jenny, le Dr Piaget, l’accueille avec entrain, prêt à lui offrir la place de psychologue qui manque à la ville, pensant qu’il vient renouer l’idylle avec sa nièce, restée célibataire depuis leur rupture, malgré sa grande beauté. Santaroga semble fonctionner comme une secte religieuse vivant en autarcie, loin des tentations du monde moderne. La sollicitude et l’omniprésence des habitants deviennent vite étouffante. D’autant plus que la curiosité de Dasein est régulièrement découragée et que ses tentatives de communication avec l’extérieur non seulement échouent, mais sont systématiquement suivies d’accidents qui auraient pu lui être fatal. Parfois sujet à des malaises suite à une trop grande absorption de jaspé, il commence à comprendre le rôle que joue ce produit, en provenance d’une champignonnière à l’accès interdit.

Cette passionnante intrigue basée sur une drogue psychédélique utilisée pour créer une société idéale est probablement inspirée des communautés hippies en rupture avec le monde moderne, mais s’enrichit de remarques sur la psychanalyse (le nom de Piaget, aujourd’hui transparent, ne devait pas parler aux lecteurs américains de l’époque), les modèles sociaux (à la différence de ruche aux individus prédéterminés, le modèle retenu est une collectivité de taille suffisante pour répondre aux besoins) et les dangers de la mise en œuvre d’utopies (Dasein, être-là, renvoyant au concept d’Heidegger de bonheur inscrit dans l’ici et maintenant). Sans être un grand roman, ce thriller psychanalytique vaut pour les réflexions que Frank Herbert en tire sur l’individu et la société.

Claude ECKEN

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