Après Alcool, paru l'année dernière, voici La Belle rouge, second opus de la « trilogie culinaire » de Poppy Z.Brite. On y retrouve le duo attachant formé par Rickey et G-man, deux jeunes chefs cuistots qui vivent en couple et travaillent ensemble à La Nouvelle-Orléans. Dans Alcool, Poppy Z. Brite nous racontait comment ces deux compères ouvraient leur propre restaurant grâce au soutien financier de Lenny Duveteaux, un restaurateur célèbre et respecté, mais dont les agissements étaient parfois à la limite de la légalité. L'action de La Belle rouge débute deux ans après dans un cadre bucolique : Rickey et G-man pêchent au bord d'un lac. Leur restaurant — vite devenu une curiosité locale — rencontre un franc succès, et leur vie de couple est au beau fixe. Mais Rickey et G-man ont la particularité de s'attirer facilement des ennuis. C'est d'abord un article virulent, signé par un mystérieux critique gastronomique, qui prend pour cible leur restaurant. Puis c'est l'arrestation de leur associé, Lenny Duveteaux, qui a commis l'erreur de s'attaquer aux intérêts de Placide Treat, le très puissant procureur de La Nouvelle-Orléans. S'ajoutent à tous ces évènements un cuisinier dépressif et une bien étrange proposition qui est faite à Rickey. On mélange le tout, on remue bien fort, et ce deuxième tome de la trilogie prend peu à peu des allures de roman noir, d'intrigue à suspense. Au menu : manipulation, corruption et suicide inexplicable. Le savoir-faire et l'intelligence narrative de Poppy Z. Brite donnent au récit une efficacité certaine. Et comme pour Alcool, on ne s'ennuie pas à la lecture de La Belle rouge. Mais le plus surprenant dans tout ça, c'est la métamorphose littéraire de Poppy Z. Brite. Avec les deux premiers volets de cette trilogie, on est loin, très loin des romans gothiques de ses débuts, à l'époque où elle était fortement influencée par le trio infernal de la littérature fantastique : Stephen King, Clive Barker, Peter Straub. On est également bien loin du ton résolument trash du roman culte l'auteur : Le Corps exquis. Avec Alcool et La Belle rouge, Poppy Z. Brite tourne la page et s'essaye à un tout autre genre littéraire. Certains lecteurs de la première heure le regretteront sûrement, en déplorant que La Belle rouge — malgré son titre alléchant ! — manque un peu d'hémoglobine et de meurtres sanguinolents. Mais il faut avouer que cette Poppy Z. Brite « nouvelle version » est très convaincante. La Belle rouge est un roman qui a du style, du charme et beaucoup d'originalité. On est d'abord surpris — comme c'était déjà le cas avec Alcool — par le rythme un peu lent de la narration. Mais si Poppy prend son temps, c'est pour mieux développer ses personnages et immerger son lecteur au cœur de La Nouvelle-Orléans. Il est d'ailleurs à noter qu'Alcool et La Belle rouge peuvent se lire indépendamment, car dans ce deuxième volet toute l'action du premier est résumée en détail. Aussi sachez-le : si vous lisez La Belle rouge alors que vous n'avez pas encore lu Alcool, eh bien vous n'aurez plus aucune raison de le faire puisque vous saurez d'avance tout ce qui s'y passe. Oui, je sais, c'est curieux, mais Poppy Z. Brite est comme ça : elle ne fait rien comme tout le monde, et c'est aussi pour ça qu'on l'aime. Alors lisez ses deux derniers romans — en commençant par Alcool, ou directement par La Belle rouge, c'est vous qui voyez ! — car ils valent franchement le détour.