Un Resnick de plus ?
Le premier à ne point paraître chez Denoël mais toujours sous la tutelle d'un Jacques Chambon dont on a parfois peine à comprendre pourquoi il s'est entiché de l'auteur.
Une fois encore, Resnick nous ramène dans la société galactique qui sert de background à la plupart de ses livres. Malgré une banque de données globale et omnisciente ou presque, des astronefs et des extraterrestres à foison, la galaxie de l'Oligarchie ressemble à la Terre actuelle autant que faire se peut ; les humains y tenant le rôle des « étatsuniens ».
De la même manière que l'establishment a du mal à accepter qu'un nègre soit expert en art renaissant, une part influente de la société galactique n'accepte pas ce même rôle pour l'extraterrestre qui est le principal protagoniste de cette histoire. La métaphore est passablement lourdingue… Resnick nous entraîne donc dans l'univers des marchands d'art, des galeries, des tableaux, des collectionneurs et des voleurs. Là encore, les millénaires n'ont rien changé, pas même le marteau du commissaire-priseur.
Leonardo — non, ce n'est pas un joueur de foot ! — est un ET expert en art humain travaillant pour la galerie Taï Chong dans le cadre d'un échange culturel. Lors d'une vente, les enchères montent de stupéfiante façon pour le portrait d'une mystérieuse femme en noir, œuvre d'un quasi inconnu, du fait de l'acharnement de Reuben Venzia et Malcolm Abercrombie. De par sa connaissance d'autres tableaux représentant le même modèle, Leonardo passe au service de ce parangon de racisme primaire qu'est Abercrombie, lequel les collectionne. À la recherche d'une autre toile, de récente facture, il rencontre Valentin Heath, aristocrate et voleur. Devant échapper à la police, Heath entraîne notre pauvre Leonardo dans sa fuite. ils gagnent Achéron où vivait feu l'artiste, un chasseur de prime que l'on eut guère pensé porté sur le pinceau et qui a entretemps été abattu. La Belle Ténébreuse a, depuis 8000 ans, toujours été portraiturée par des artistes d'occasion mais tous des têtes brûlées. Elle est encore sur Achéron, attendant que le truand qui a tué son peintre revienne en ville se faire trucider à son tour… Elle est pleine de mystère, immortelle et dangereuse, et s'évapore du vaisseau de Heath en plein vol. Leonardo, Heath et Reuben Venzia, qui rêve d'immortalité, se lancent à la poursuite de cette femme qui n'apparaît qu'à des hommes qui bravent la mort constamment…
À la fin du roman, Mike Resnick n'aura pas livré d'explication à l'existence de la Belle Ténébreuse. Elle est un archétype incarné, la mort faite femme sans que cela entre dans l'ordre naturel des choses de l'univers de Resnick — comme du fantastique enchâssé dans un space opera. Le livre, dont l'ambiance n'a rien de gothique, finit en queue de poisson. Le mystère reste entier, ou presque.
Ceci mis à part, La Belle Ténébreuse, écrit tout en dialogues, est d'une lecture alerte et facile, qui vaut davantage par la mise en scène du personnage de Leonardo, issu d'une culture matriarcale et parangon de moralisme suintant qui fait pendant à Abercrombie et surtout au cynique Valentin Heath. Heath, Abercrombie et Venzia, malgré leurs défauts, ressortent favorablement du roman parce que plus humains — et pour cause — face à la morale obséquieuse de Leonardo. Derrière les hôtels et restaurants pour ET., la première classe, les expositions, et même les planètes interdites aux E.T., Resnick satirise l'apartheid. C'est toujours ça.
Certes, La Belle Ténébreuse n'est pas le plus médiocre ouvrage de Resnick, mais on s'extrait à peine du tout-venant… Reste qu'en fin de compte, on en a pas pour 104 FF Le déferlement de grands formats destinés à taper dans la poche du lecteur conduit à publier cher des livres qui ne le méritent pas. Outre la qualité, il va falloir désormais s'attacher au rapport qualité/prix de ce qui nous est donné à lire.