La Bibliothèque de Mount Char est le premier roman de Scott Hawkins. Et, pour un coup d’essai, c’est un sacré coup de maître. Entre fantastique et horreur, LBDMC est un roman qui n’aurait pas dû fonctionner. Trop barré, trop violent, trop graphique, trop cruel, trop tortueux. Trop tout, en fait. Qu’on en juge !
Carolyn est une jeune femme qui vit dans la petite ville américaine de Garrisson Oaks. Elle y partage une maison avec onze autres jeunes adultes, adoptés comme elle il y a bien longtemps par « le Père ». Il les sauva d’une mort certaine, les conduisit dans la Bibliothèque, puis s’occupa d’eux, à sa manière. Par des années d’un entraînement impitoyable, il fit des douze orphelins des armes mortelles à son service. Mais aujourd’hui, le Père a disparu. Est-il mort ou vivant ? S’il est mort, qui l’a tué ? Et que vont faire ses ennemis de la place qu’il laisse vacante ? Ses « enfants » — chacun maître d’un domaine, du meurtre à la prédiction en passant par la résurrection ou l’interrogation des morts – vont devoir le découvrir.
Ça pourrait être un simple polar fantastique, bonifié par le rôle trouble d’une Carolyn qui est la seule des douze à sembler avoir un agenda propre. Ça fonctionnerait peut-être, et ça serait oubliable. Mais Hawkins, qui n’a ni limite, ni surmoi, rend son histoire inoubliable en tissant un récit proprement incroyable, aux dimensions mythiques et aux développements résolument pyrotechniques. Qui, ici, peut citer un autre roman dans lequel l’auteur a fait tenir entre deux couvertures : une échelle de temps se comptant en dizaine de milliers d’années, un ennemi antédiluvien, une apocalypse qui surviendra peut-être sous peu, un (ou deux) complot(s) s’étalant sur la longueur d’une vie, un garçon qui parle aux animaux, un tigre et un calmar ancestraux, deux lions père et fille aidant un humain contre molosses et morts-vivants, une vieille femme ressuscitée qui fait des pâtisseries, des punitions d’une telle cruauté qu’on doit parfois relire pour être sûr d’avoir bien lu, une légende vivante des forces spéciales US, un tueur quasi invincible, une fille qui ne ressuscite que pour mourir encore et encore, un Président des USA sous influence, des héros si déconnectés du réel qu’ils se sapent comme des clowns, des opérations de police à la bombe atomique, une pyramide clairement non-euclidienne, sans oublier, bien sûr, du guacamole.
Ça ne devrait pas tenir. Ça devrait sombrer dans le grand guignol ou le ridicule. Et pourtant, ça n’est jamais le cas, bien au contraire. Hawkins réussit le tour de force de lier tous ces éléments dans la trame d’une histoire aussi vive que captivante, d’en faire les facettes incontestables d’un récit cohérent, mystérieux, dur et caustique à la fois. Il capture son lecteur dès les premières lignes, et ne le lâche plus avant de l’avoir conduit à une conclusion aussi rassurante qu’inattendue. Épuisé, pantelant, le lecteur sort de LBDMC aussi époustouflé que ravi. De tels romans, on n’en lit pas tous les jours, on n’en lit même pas tous les ans.