Harlan ELLISON
Les HUMANOIDES ASSOCIÉS
Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117
Dernier volet de la série de quatre recueils d’Ellison publiée à la fin des années 70 par Les Humanoïdes Associés, La Chanson du zombie présente une différence importante avec les volumes précédents : dans ce celui-ci, ce sont grosso modo quatorze collaborations qui sont rassemblées, quatorze textes parmi les nombreux qu’Ellison écrivit à quatre mains avec un (plus ou moins) grand nom de l’Imaginaire de son temps. Comme il est de coutume chez l’auteur, après une introduction générale, chacun des textes est précédé d’une introduction particulière parfois assez longue qui décrit ses conditions de réalisation, autrement dit : comment deux auteurs se connurent et devinrent amis ou pas, comment ils décidèrent d’écrire ensemble, comment ils le firent, quelles difficultés ils rencontrèrent, quel délai sépara l’idée de la réalisation, selon quelle alternance (ici, Ellison est précis à la phrase près) les passages furent-ils rédigés et par qui. Ces prolégomènes sont passionnants car ils permettent au lecteur de soulever le voile et d’aller en coulisses, là où écrivent les auteurs et là aussi où ils ne font pas qu’écrire. Résultat : un recueil de textes de qualité inégale (comme dans tout recueil) mais dont chaque introduction est intéressante.
Revue rapide.
« Je vois un homme assis dans un fauteuil, et le fauteuil lui mord la jambe », écrit avec Robert Sheckley, est un petit bijou de nonsense SF post-apo sur une très étrange histoire d’amour. On pourrait la résumer en citant deux fragments de sagesse populaire : « La roue tourne » et « Ce qui se passe à Las Vegas reste à Las Vegas ». « Flic de Fer », écrit avec Ben Bova, se pose la question du remplacement de l’humain par des robots (aujourd’hui des IA). Quand le Robocop flambant neuf se révèle mauvais policier, il prouve par ses limitations que l’humain est irremplaçable dans toute activité qui demande expérience et intuition, et Ellison, lui, qu’il peut aller, pour les besoins de son histoire, contre son aversion des flics — encore un point qu’il gagne contre nombre d’auteurs contemporains. Suivent deux textes liés car le second est la suite du premier (le premier lui-même étant la suite d’un texte antérieur de 1943). Explication : en 1943, Robert Bloch publie une courte nouvelle qui fait du bruit, « Votre dévoué Jack l’Éventreur », un texte à chute réussi qui imagine que Jack l’Éventreur a continué à sévir de par le monde des décennies après avoir arrêté de tuer à Londres. Ce texte n’est pas dans le présent recueil, mais Ellison le connaissait et l’appréciait. En 1966, à la demande de ce dernier, Bloch écrivit pour l’anthologie Dangereuses Visions une suite au texte précédent intitulée « Un Jouet pour Juliette ». Encore un texte à chute, délicieusement sadique, situé très loin dans l’avenir, non loin de la fin de l’humanité. Quelques années plus tard, Ellison écrira, avec l’autorisation de Bloch, la suite du précédent qu’il intitulera « Le Rodeur dans la cité à la lisière du monde », un texte qui n’est pas seulement une réplique dans une conversation littéraire, mais aussi une réflexion glaçante sur la nature humaine et la capacité jamais démentie de notre espèce à faire le mal. Ainsi, dans La Chanson du zombie trouve-t-on donc la préface explicative de tout ceci, suivi d’« Un Jouet pour Juliette », puis de « Le Rôdeur dans la cité à la lisière du monde », l’ensemble formant un assortiment d’une cruauté rare, peut-être le meilleur du recueil. « Panique au village », avec Avram Davidson, a peut-être fait mourir de rire les Américains qui fréquentaient, éberlués, Greenwich Village dans les sixties ; elle tombe à plat aujourd’hui. « Le Jeteur de sorts », écrit avec Theodore Sturgeon, est une perturbante histoire d’horreur post-apo’ dans laquelle un jeteur de sort imprudent est manipulé depuis bien avant sa naissance pour provoquer l’apocalypse. « Rodney Parish à votre service », en collaboration avec Joe Hensley, dit combien il est facile de tuer, a fortiori pour de l’argent. Suit « Histoire de Kong », une série de croquis humoristiques (!) représentant King Kong faits par William Rotsler et légendés par Ellison ; qu’ajouter ? Puis, l’une des histoires les plus connues, « Les Opérateurs humains », avec A. E. van Vogt ; SF de terreur dans laquelle des vaisseaux conscients (bien avant les sentients de Peter F. Hamilton) se débarrassent de leurs opérateurs humains, sauf un par nef, qu’ils gardent en esclavage. Mais, le temps passant, tout n’évoluera pas pas comme prévu pour les IA ayant tourné casaque. Une histoire adaptée deux fois à la télévision. Avec Henry Slesar, Ellison écrit « Survivant numéro un », une pochade SF dans laquelle le statut matrimonial d’un type lambda détermine le salut de l’humanité — quoique… Concernant « Du pouvoir des clous », avec Samuel R. Delany : on peut trouver mieux chez l’un comme chez l’autre, Ellison lui-même le concède. « L’Oiseau-miracle », avec Algis Budrys, raconte l’attente déçue d’un spectacle extraterrestre qui prend des allures de visitation religieuse — dans la même veine, Jack Vance écrivit Space opera ; toute une époque. « La Chanson du zombie », avec Robert Silverberg, raconte une histoire de mort-vivant jouant pour l’éternité le même concert devant une foule venue assister au prodige ; un texte inspiré par un auteur réel qui n’était plus que l’ombre de lui-même. « Scène de rue », une collaboration avec Keith Laumer, fait s’écraser un ptéranodon au beau milieu d’une New York où plus rien n’étonne personne, un texte amusant qui a deux fins par suite d’un désaccord entre les auteurs ; les deux sont fournies ici — celle d’Ellison est incontestablement meilleure. Enfin, « Viens à moi, non dans la blancheur de l’hiver » est un récit à l’eau de rose (dixit Zelazny) infiniment trop douce ; mais Ellison est content d’avoir réussi, pour une fois, à éviter le cynisme, alors qui sommes-nous pour critiquer ?
Varié et inégal, La Chanson du zombie est un recueil qui, comme ses semblables, vaut autant par ses préfaces que par ses textes.