Aliette DE BODARD
FLEUVE NOIR
512pp - 21,90 €
Critique parue en avril 2017 dans Bifrost n° 86
Paris, soixante ans après le début de la Grande Guerre de 1914. Un Paris en ruines, qui n’a jamais su se relever de ses décombres, où quelques gangs survivent des rares miettes de richesse qu’ils parviennent encore à gratter, et où les derniers vestiges d’autorité résident dans les Maisons qui se disputent le pouvoir. Ces mêmes Maisons à l’origine de ce désastre.
Autrefois, la Maison aux Flèches d’Argent était la plus puissante d’entre elles. Fondée par Étoile-du-Matin, le Premier Déchu, l’aîné de ces créatures magiques tombées sur Terre que la religion catholique appelle des anges, sa puissance rayonnait bien au-delà de la capitale. Mais vingt ans après la disparition d’Étoile-du-Matin, la Maison n’est plus que l’ombre d’elle-même. Et l’irruption de deux nouveaux personnages va davantage encore saper ses fondations. L’un se nomme Isabelle et est une jeune Déchue, tout juste expulsée du Paradis originel. L’autre s’appelle Philippe, originaire d’une civilisation lointaine, et son arrivée coïncide avec l’apparition d’une menace issue du passé qui va s’attaquer aux membres de la Maison dans le but ultime de faire chuter cette dernière.
Revoilà donc Aliette de Bodard, écrivaine de nationalité française publiant en anglais qui cumule les prix outre-Atlantique et outre-Manche, mais qui n’a que trop rarement été traduite ici, son précédent éditeur (Éclipse) n’ayant eu le temps de nous proposer que le premier tome de ses « Chroniques aztèques » avant de mettre la clé sous la porte. On se réjouit donc de la retrouver, même si La Chute de la Maison aux Flèches d’Argent n’est pas la réussite que l’on espérait. D’abord et avant tout parce que l’univers qu’elle met en scène ici constitue un cadre original, certes, mais particulièrement mal et sous-exploité. L’action se déroule dans un monde où le temps semble arrêté, figé dans une éternelle désolation, sans que l’on comprenne vraiment pourquoi la vie n’a jamais repris après la guerre. Le champ du roman se limite non pas à Paris mais, pour l’essentiel, aux vestiges de Notre-Dame et à ses environs. Du reste de ce monde, on n’entrevoit que des bribes, trop peu pour faire sens. À réduire de manière aussi drastique son terrain de jeu, Aliette de Bodard finit par minimiser les enjeux de son intrigue, et dans ce contexte les luttes de ses personnages apparaissent au final comme de pitoyables efforts pour s’accrocher à un dérisoire lopin de terre et à une gloire passée.
C’est d’autant plus dommage que le roman ne manque pas par ailleurs de qualités, à commencer par une galerie de personnages bien campés, de Séléné, maîtresse de la Maison aux Flèches d’Argent, qui tente tant bien que mal de cacher ses carences, à Marguerite d’Aubin, alchimiste accro à l’essence d’ange, cette drogue divine qui vous donne la puissance en même temps qu’elle vous tue. Rythmé et énergique, La Chute de la Maison aux Flèches d’Argent se lit agréablement. Mais ce huis-clos théâtral ne sait à aucun moment tirer parti de la richesse de son univers, et se révèle au final bien plus frustrant que convaincant.