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Les critiques de Bifrost

La Cinquième tête de Cerbère

La Cinquième tête de Cerbère

Gene WOLFE
ROBERT LAFFONT

Bifrost n° 111

Critique parue en juillet 2023 dans Bifrost n° 111

Deuxième roman de Gene Wolfe après Operation Ares, La Cinquième tête de Cerbère est un fix-up composé de trois novellas très différentes les unes des autres sur la forme, mais qui pourtant entretiennent des liens étroits, tant par leur localisation – deux planètes jumelles, Sainte-Anne et Sainte-Croix, initialement colonisées par des Français – que par certains de ses personnages, et surtout par les thèmes qu’elles abordent. La première d’entre elles, qui donne son titre au roman, revient sur l’enfance du narrateur, baptisé Numéro Cinq par son père, et sur les événements qui l’ont amené à passer de longues années au bagne. L’écrivain plonge le lecteur dans une société à la fois familière et étrange, mélange de mœurs victoriennes et de rapports so- ciaux singuliers, de pratiques archaïques et de technologies futuristes, et où les formes les plus avan- cées de la science et de la génétique semblent être l’apanage de quelques savants fous reclus dans leurs laboratoires secrets. Dans sa manière de soulever quantité de questions sans forcément y apporter de réponses, Gene Wolfe donne ici le ton qui va s’imposer à l’ensemble du livre.

« “Récit” par John V. Marsch », la deuxième novella, se présente comme une reconstitution de l’histoire des anciens habitants de Sainte-Anne, les abos, avant l’arrivée des premiers Terriens sur leur planète. À travers le périple de son personnage central, Coureur des sables, elle va peu à peu prendre des allures mythologiques pour raconter ce qu’était cette civilisation désormais disparue, sans que personne ne sache avec certitude ce qui lui est arrivé.

John V. Marsch tient le rôle principal dans la dernière partie du livre, « V.R.T. », un récit puzzle composé d’extraits d’interrogatoires et de journaux intimes, dans lequel on découvre au fil des pages les tentatives de l’ethnologue pour retrouver la trace des abos disparus, et où chaque nouvelle révélation soulève d’autres questions.

La quatrième de couverture de l’édition originale du roman en « Ailleurs & demain » le qualifie de « livre étrange, subtil et attachant ». Autant d’adjectifs qui conviennent à la perfection à La Cinquième tête de Cerbère. Mais c’est également une œuvre qu’il est permis de trouver quelque peu frustrante, tant Gene Wolfe y soulève quantité d’interrogations auxquelles il se refuse à répondre. Ça n’est toutefois pas la sensation la plus prégnante qui subsiste au terme de cette lecture, tant l’absence de résolution(s) ne pèse pas lourd face à la richesse d’un texte en tous points singulier, empruntant autant à Vance qu’à Borges ou Kafka.

Philippe BOULIER

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