Le label Albin Michel Imaginaire débute l’année 2019 avec La Cité de l’orque, roman d’un inconnu dans nos contrées (sauf à lire le présent Bifrost), si l’on fait abstraction du court teaser « Le Vêlage » (disponible sur le blog AMI) et des avis élogieux de quelques blogueurs éclairés bien connus des habitués de l’Internet.
Premier roman adulte de Sam J. Miller, par ailleurs qualifié d’étoile montante de la SF américaine, La Cité de l’orque nous projette au XXIIe siècle, à une époque où les effets de la catastrophe climatique, dont nous observons les prémisses et entretenons les causes, donnent leur pleine démesure cataclysmique, contribuant à un exode massif de population. Face à l’élévation du niveau des océans, moult mégapoles et pays ont été submergés, en partie ou totalement, provoquant un désordre généralisé. En proie à la sécession, les États-Unis ont basculé dans la guerre civile et l’obscurantisme (refrain connu) et, même si l’on ne sait pas grand-chose du reste du monde, on devine que les événements ont redessiné la géopolitique mondiale. Bref, à l’instar d’une marée irrésistible, l’afflux de réfugiés climatiques a échoué sur les rivages artificiels d’un archipel de plates-formes surpeuplées, dominées par un struggle for life encouragé par le libéral-capitalisme prédateur. Rien de neuf sous le soleil de la dystopie, nous dira-t-on (si ce n’est qu’on a les pieds qui baignent désormais dans l’eau salée). Du contexte général de la planète, on s’en tiendra à quelques bribes d’information, Sam J. Miller ayant choisi de poser son récit dans le décor inhospitalier de la cité flottante de Qaanaaq, non loin de la localité éponyme située au Groenland. Entité complexe jouissant des bienfaits d’une source géothermique sous-marine, Qaanaaq apparaît comme une jungle impitoyable où l’espace vital se monnaye très cher. Sous la surveillance des IA en charge des routines de la cité et des actionnaires, les premiers de cordée des lieux, vivant reclus dans leurs tours surprotégées, on ne peut pas dire que l’altruisme ruisselle à Qaanaaq. Une foule foisonnante de réfugiés tente pourtant d’arracher un peu de place au soleil glacial de l’Arctique. Des vendeurs de nouilles ou de soupe, des pêcheurs, des mineurs de glace, vivants entassés dans des épaves rouillées, sous la coupe des hommes de main des seigneurs de la pègre. Des besogneux, âpres au gain, durs à la peine, animés par un embryon de révolte ne demandant qu’à se déchaîner, mais dans l’attente d’un signe pour agir. Peut-être la venue de cette femme, l’orcamancienne, accompagnée dit-on par un orque et un ours blanc, est-elle ce signe ?
Au fil d’une intrigue paresseuse, du moins au début, Qaanaaq se révèle ainsi comme un formidable melting-pot dont on goûte l’agitation avec fascination, tout en sentant sa crasse entêtante, en entendant les cris de rage ou de souffrance de ses habitants et en ressentant dans sa chair le froid coupant du Pôle Nord. Sur ce point, le travail de Sam J. Miller est admirable d’authenticité. Une poignée de personnages principaux et secondaires apporte un surcroît d’intérêt au récit, notamment un personnage de coursier pansexuel. À ceci, ajoutons enfin des trouvailles en pagaille, en particulier les failles, une IST du futur mettant l’individu contaminé en contact avec la mémoire de celui qui l’a infecté, et les nanoliés, produits d’une expérience avortée funeste. Pour le reste, le récit de La Cité de l’orque apparaît un tantinet décousu, voire convenu. On ne se passionne guère pour son intrigue mollassonne (on l’a dit) et téléphonée qui voit l’horizon d’attente se réduire à une peau de chagrin. Tout ça pour ça, est-on même tenté de soupirer. En dépit de ce bémol, un brin fâcheux hélas, le roman de Sam J. Miller demeure une tentative de post-cyberpunk qui suscite la sympathie. Et même si toutes les promesses ne sont pas tenues, La Cité de l’orque dévoile un univers ne demandant qu’à prendre de l’ampleur. On est curieux d’en découvrir d’autres aspects.