Fabien CLAVEL
MNÉMOS
401pp - 19,50 €
Critique parue en janvier 2007 dans Bifrost n° 45
Certains romans posent de grandes difficultés au chroniqueur chargé d'en faire le compte-rendu argumenté. Il analyse ses impressions, opère le tri nécessaire dans celles-ci. Il pèse le pour et le contre parmi les voies qui s'offrent à lui afin de restituer sincèrement l'état d'exubérance ou d'accablement dans lequel il se trouve plongé. Il cherche ses mots pour donner envie ou déconseiller aux éventuels curieux de perdre leur argent et leur temps. Enfin, il se lance, tout en sachant qu'il ne sera pas écouté la plupart du temps. En ce qui concerne La Cité de Satan, il ne lui a cependant pas fallu des lustres pour se décider. Il est vain d'introduire une fausse impression de complexité sur un livre qui en est totalement dépourvu, aussi commencera-t-on par le plus évident : le début.
Fabien Clavel est gratifié d'une réputation pas franchement enthousiasmante pour des titres loin d'être considérés comme indispensables. Il est inutile de revenir sur Les Légions dangereuses, chroniqué précédemment dans ces pages, ni sur les autres titres de l'auteur qui contribuent à ladite réputation. Le chroniqueur ne s'aventurera pas davantage à émettre le moindre calembour douteux à partir du titre du présent ouvrage. Et pourtant, c'était tentant… De fait, c'est avec un esprit vierge qu'il confiera humblement — je sais, j'en rajoute —, ce qu'il a retiré de cet ouvrage d'un nouveau genre : le péplum uchronique (dixit la quatrième de couverture).
Evitons de perdre un temps infini à nous émerveiller sur l'aspect uchronique du récit qui, de toute façon, n'est qu'un prétexte qui fleure bon le carton-pâte. Il suffit juste de savoir que l'intrigue se déroule en 2614 après la fondation de Rome — comprendre, 1861 de notre calendrier — à Lutèce, au moment où l'édile Sergiolus s'apprête à célébrer une magistrale naumachie en l'honneur de l'empereur Julien (361-363), plus connu dans notre Histoire sous le surnom d'Apostat, et dont le règne constitue accessoirement le nœud de divergence de cette supposée uchronie. Inutile également de clamer que tout cela n'est pas vraisemblable un seul instant. Inutile, enfin, de mentionner que l'ensemble est bourré de clichés grotesques et d'inventions historiques fumeuses ; je pense en particulier à ces aqueducs transformés en ersatz de voie de circulation… Pardon ? Ah oui, vous avez raison. Je suis confus : je crains d'avoir déjà quelque peu vendu la mèche. Ceci n'est cependant pas catastrophique, puisque cela nous permet de cerner un contexte qui nous ramène au péplum évoqué plus haut. Tout le monde a sans doute en mémoire ces monuments cinématographiques hollywoodiens et leurs cousins nanardesques italiens. On ne dévoile pas grand-chose en révélant d'emblée que l'aspect péplum se réduit finalement au morceau de bravoure de la naumachie dans les arènes ennoyées de Lutèce. Pour le reste, Fabien Clavel lorgne surtout vers le roman feuilleton — comme le laisse deviner le sous-titre : « Les mystères de Lutèce » — et peut-être même, avec beaucoup moins de talent et de souffle quand même, vers un certain thriller babylonien publié auparavant chez le même éditeur. Le récit, une suite de rebondissements au mieux poussifs, met en scène une poignée de personnages archétypés, à savoir un édile gladiateur prêt à tout pour conserver le pouvoir, un fidèle décurion des vigiles, issu lui-même du milieu qu'il combat (Vidocq, vous avez dit Vidocq), un héros jeune, beau et amoureux d'une belle et déterminée inconnue avec laquelle il couchera au cours d'une nuit moite et besogneuse avant de la quitter, et, enfin, une multitude de seconds rôles faisant tapisserie pendant que la pègre s'agite et s'exprime en argot pour faire plus canaille, que les chrétiens sabotent et troublent la Pax lutecia en appliquant une variante de la propagande par le fait et qu'un insaisissable hors-la-loi à l'identité masquée (donc, ce n'est pas José Bové) joue des muscles face aux forces de l'ordre. Pour faire plus ludique, l'ensemble est agrémenté de clins d'œil fugitifs, notamment aux trois mousquetaires, mais aussi à l'œuvre d'autres écrivains hugolâtrés, d'un peu de mystère, de détails crus et crades, de magie druidique, de complots, d'une crue exceptionnelle et inexpliquée (colère des dieux ?) et d'une foule d'autres gauloiseries. Que demande le peuple… Panem et circenses, peut-être ?
Au terme de cette chronique, il faut donc se rendre à l'évidence. La Cité de Satan est un fourre-tout bordélique qui n'arrive pas à la cheville de ses illustres devanciers et s'achève mollement. Une œuvre plus anachronique qu'uchronique. Un texte qui emprunte plus qu'il ne créé. Aussitôt lu, aussitôt oublié.