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Les critiques de Bifrost

Critique parue en janvier 2024 dans Bifrost n° 113

M.R. Carey – ou Mike Carey, comme le connaissent les fans de comics et de feue la collection « Vertigo » en particulier – est l’une des valeurs sûres de L’Atalante. L’édi­teur nantais sort régulièrement, bon an, mal an, un ou deux livres de l’auteur britannique ; à ce titre, 2023 aura été une année faste au moins du point de vue éditorial avec deux livres publiés. Dont celui-ci, La Cité de soie et d’acier, écrit à pas moins de six mains, avec son épouse et sa fille, et qui fut publié en version originale il y a neuf ans. Pourquoi tout ce laïus ? Parce qu’il faut bien comprendre que si vous espériez trouver l’auteur de la trilogie « Rempart » (cf. Bifrost 105 et 107) ici, il faudra chercher longtemps. En l’espèce, on ira plutôt du côté des contes orientalistes inspirés par Les Mille et une nuits, à la manière de nos chères Lettres persanes publiées en 1721 par Montesquieu. En effet, La Cité de soie et d’acier est une série de contes racontant l’ascension de Bessa, la légendaire Cité des femmes au milieu du désert, et sa chute. Ou plus exactement comment, une fois l’ancien sultan tué et remplacé par un fanatique religieux, son sérail en exil va reprendre son destin en main et revenir libérer la ville, avant que la Commune utopiste fondée en son sein soit détruite par la jalousie d’un homme. À l’instar de Montesquieu à son époque, la famille Carey utilise le pouvoir des contes et la magie de l’Orient pour parler de problèmes actu­els : le patriarcat, la montée de l’intégrisme religieux, la violence des incels frustrés (comme Jamal, qui fera tomber Bessa sans obtenir satisfaction), la conquête de la liberté vis-à-vis d’autrui, mais également de soi-même, les liens familiaux plus ou moins forts, etc.

Le tout forme un melting-pot souvent plaisant, mais aussi parfois pesant, suivant quel personnage est mis en avant dans tel ou tel conte. Si Rem, la bibliothécaire prophétesse, est la favorite de beaucoup, certains, comme Rashad dans Le conte du maître-queux, Zuleika l’Assassin devenue courtisane, ou Issi le chamelier, sont particulièrement attachants. D’autres moins, quand bien même ils sont conçus pour nous séduire, tel le voleur bara­tineur devenu diplomate, ou la vieille Gurshoon, un peu trop Mère-la-morale, et le rythme de chaque histoire s’en ressent suivant la sensibilité de chacun. De fait, si le tout forme une histoire cohérente, c’est avant tout un recueil de contes qu’il vaut mieux consommer peu à peu, quitte à papillonner dans le sommaire et à revenir en arrière. Drôle et remonté, bourré d’action et de réflexion, La Cité de soie et d’acier se termine sur une note douce-amère, mais non dénuée d’espoir. Une belle découverte.

Stéphanie CHAPTAL

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