Connexion

Les critiques de Bifrost

La Cité des lames

Robert Jackson BENNETT
ALBIN MICHEL
576pp - 27,90 €

Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117

Retour au Continent pour Ro­bert J. Bennett : après La Cité des marches (cf. Bifrost n°114), le deuxième tome de la série des « Cités divines » ramène son lecteur dans cet univers al­ternatif où la fantasy se mâtine de steampunk — à moins que ce ne soit l’inverse. D’ores et déjà, signalons qu’il semble possible, mais non souhaitable, de lire ce livre sans avoir lu son prédécesseur. Pour ceux qui aimeraient néanmoins tenter l’acrobatie, on pourra spécifier quelques-uns des concepts clés de cet univers. Le Continent est une masse de terres autrefois gouvernées par des entités d’ordre supérieur — les Divi­nités — capables de manipuler la réalité au profit comme au détriment de la simple hu­manité. Une nation colonisée par le Continent, Saypur, a cependant réussi, quelques décennies plus tôt, à secouer le joug des Divinités en les mettant hors-jeu, voire en les éliminant. Depuis, Saypur et ses chefs surveillent avec angoisse les moindres signes de réveil du Divin. Dans ce deuxième tome, le personnage principal — que l’on n’osera pas qualifier d’héroïne — est une vétérane de la guerre de conquête que Saypur a livrée face à son ancienne métropole. Comme beaucoup de soldats, la générale Mulaghesh est revenue du conflit marquée par des blessures dont toutes ne sont pas visibles : c’est pourtant elle que l’on envoie enquêter sur des faits troublants qui se déroulent dans l’ancien do­minion de la Divinité Voortya, qui fut autrefois la souveraine des combats et de la guerre.

Pourquoi est-ce toujours les soldats usés qui écopent des missions les plus dangereuses ? Parce que leur expérience et leur flair garantissent que les détails anodins sous lesquels se nichent horreurs et trahisons ne leur échapperont pas, bien sûr… Mais leur usure et leur lassitude peuvent aussi contribuer à diminuer leur efficience, voire à les faire se fourvoyer. Le lecteur sera donc aussitôt confronté à des personnages tout en nuances de gris dont Mulaghesh — badass mais dont on perçoit le dégoût d’elle-même — représente bientôt le porte-étendard… et s’il y en a un (ou deux) dans le tas qui semble trop pur pour être honnête, c’est sans doute qu’il convient de s’en mé­fier à un titre ou à un autre. Usure ne veut cependant pas dire fêlu­res, ou en tout cas pas toujours : si tout le monde est usé dans cette histoire, certains vont au-delà et sont même fêlés aux deux sens du terme. Dans un univers de personnages gris, comment savoir où se trouve la justice, à supposer qu’elle existe ? L’usure n’interdit pas de se poser les bonnes questions, et de prendre les bonnes décisions — parfois au prix de sacrifices terrifiants… alors que les fêlures, au contraire, vont rendre certaines alternatives périlleuses — la voie de la justice ne suivant pas toujours celles de l’obéissance. Or, dans un monde où le Divin et ses miracles persistent à représenter un danger existentiel, les alternatives périlleuses ne peuvent qu’être indésirables.

Ce deuxième volume de la saga des « Cités divines » convainc donc en parvenant à s’élever au-dessus de ses propres concepts : en confrontant des vétérans avec les maléfices d’une entité qui incarne pourtant ce qui leur est le plus familier, l’auteur parle du conflit entre les différentes formes du devoir — et de la différence entre justice et vengeance.

 

 

Arnaud BRUNET

Ça vient de paraître

L'Énigme de l'Univers

Le dernier Bifrost

Bifrost n° 118
PayPlug