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Les critiques de Bifrost

La Cité des marches

La Cité des marches

Robert Jackson BENNETT
ALBIN MICHEL
552pp - 27,90 €

Bifrost n° 114

Critique parue en avril 2024 dans Bifrost n° 114

Jadis les Continentaux – un genre de Russes – étaient les maîtres du monde ; armés de miracles produits par les Divins, ils asservirent tous les pays environnants. Jusqu’à ce qu’une colonie, Saypur – un genre d’Inde –, se soulève et botte miraculeusement l’arrière-train des dieux qui, dans leur débâcle, entraînèrent avec eux toute leur création, ne laissant qu’un pays fracturé et incomplet.

Or, certains miracles opèrent encore dans la ville de Bulikov, et un historien saypurien chargé de les étudier est brutalement assassiné. Patatras !

Autant évacuer ce point très vite : La Cité des marches ressemble aux « Maîtres Enlumineurs » sur bien des aspects. Il s’agit encore d’urban fantasy, et nous suivons encore un duo composé d’une femme des plus capables et d’un homme-tas-de-muscle-au-passé-trouble. Encore une fois, l’action démarre sur les chapeaux de roue et ne s’arrête qu’à… la fin. C’est la force de RJB, fournir un page turner sans remplissage, sans cliffhanger énervant. Un personnage est assommé ? Il suffit de tourner la page pour savoir où il se réveille. Autre similitude : la colonisation, un thème majeur de cette nouvelle série. Toutefois, elle prend ici une place bien plus centrale dès le début. Shara, l’héroïne, incarne une élite coloniale au passé de colonisé. La réponse des colonisés à leurs colonisateurs est l’interdiction de la plus simple mention des dieux et de leurs miracles. De leur civilisation, en somme ; un acte d’acculturation total. C’est cette contrainte, cet interdit qui va structurer tout le récit. Shara suit la trace d’Efrem, l’historien assassiné, reprend ses recherches et dresse un parallèle saisissant entre la déchéance présente du Continent et son passé glorieux, ses légendes et ses artefacts magiques. En cela, La Cité des marches diffère de la saga déjà évoquée. Dans celle-ci, l’univers est intégralement structuré par un système arcano-informatique ; ici, la magie est un souvenir mythique et dangereux. L’omniprésence des Enluminures et leur logique particulière impliquait une constante explication, ce qui pouvait appesantir le récit. Ici, l’immersion doit plus au merveilleux – pas scientifique, donc – ou au registre mythologique. L’esthétique s’en ressent également beaucoup, les autels décatis ou les créatures difformes que l’on pourra croiser convoquent un imaginaire plus organique, pour ne pas dire plus sale, qui flirte volontiers avec le fantastique horrifique des débuts de l’auteur. Enfin, ces morceaux de ville mythique, de culture prohibée et leur apparition stroboscopique rappellent par moment le postulat de base de The City & the City de China Miéville. Il y aurait, comme qui dirait, des trucs qu’on ne devrait ou ne voudrait pas voir dans une ville. La Cité des marches est une cavalcade féconde en réflexions, et si ce tome-là sert d’exposition, la suite devrait encore plus casser des briques.

Pierre CONSTANTIN

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