Emmi ITÄRANTA
PRESSES DE LA CITÉ
358pp - 20,00 €
Critique parue en juillet 2017 dans Bifrost n° 87
Après Fille de l’eau, un premier roman traduit dans vingt-et-une langues et sélectionné aux prix Philip K. Dick et Arthur C. Clarke, Emmi Itäranta nous revient avec La Cité des méduses, paru en Finlande en 2015 et récipiendaire du City of Tampere Literary Award.
La traduction du titre finnois, qui évoque une ville aux ruelles tissées, ne rend pas justice au contenu de ce roman de science-fiction. Les méduses y jouent un rôle anecdotique tandis que des toiles suspendues, tissées, détissées et retissées, reconfigurent en permanence le visage de la ville. Eliana est une de ces tisseuses, vivant et travaillant au palais des Toiles. Son frère, copiste, a rejoint le palais des Mots. Si, de prime abord, le décor paraît enchanteur – tout comme à Venise, des gondoles permettent de se déplacer sur les canaux, les édifices de pierre impressionnent par leur prestance et leur résistance aux assauts du temps, les palais manquent de faste et leurs habitants y vivent d’un dur labeur et dans la frugalité. La cité elle-même a perdu de sa superbe. Enclose dans une île menacée par des inondations de plus en plus fréquentes, ses grèves sont envahies par des algues toxiques et ses méduses aux propriétés thérapeutiques se retrouvent décimées par une étrange maladie. La société est une théocratie où l’on révère la Fileuse, un arachnide géant présent bien avant l’arrivée de l’homme. Dirigée par un Conseil tout aussi puissant qu’invisible, elle s’organise en castes et métiers pour que chacun trouve sa place et y reste. La police, redoutable d’efficacité, chasse sans scrupules les Songeurs, ces hommes et femmes capables de rêver. Dangereux car porteurs de la contagieuse peste onirique, ils sont envoyés au palais des Impurs et condamnés aux travaux forcés. Eliana dissimule sa capacité à rêver tout comme elle cache son éducation passée. Lecture et écriture sont réservées aux sages et aux puissants. Le savoir et sa diffusion font l’objet d’un contrôle strict du Conseil. Cette double transgression pourrait l’envoyer en enfer. L’arrivée de Valeria au palais des Toiles, après l’accident qui a coûté la vie à ses parents et une agression qui l’a définitivement mutilée, bouleverse la vie d’Eliana. Analphabète, Valeria ne dispose d’aucun moyen de communication depuis que ses agresseurs lui ont coupé la langue. Le prénom d’Eliana, tatoué à l’encre invisible sur la paume de la main de Valeria, marque le début d’une amitié qui les conduira à bousculer l’ordre établi de la Cité.
Emmi Itäranta emprunte aux codes de la fantasy pour produire un roman dystopique de bonne facture. Elle distille ses révélations au compte-goutte autour d’un personnage principal réussi. Le rythme, délibérément lent, se prête à l’ambiance onirique et poétique du texte. Il est contrebalancé par une narration au présent qui insuffle énergie et vivacité à un roman qui vaut qu’on s’y arrête.