Le Robert Charles Wilson nouveau – après Les Affinités, un très bon cru – retourne à la thématique classique du voyage dans le temps : la Cité temporaire de Futurity, dans l’Illinois, permet pendant cinq ans à des touristes du futur (ou plus, exactement, « d’un autre futur ») de visiter les États-Unis des années 1870? ; et les « locaux » ne sont pas en reste, qui, s’ils se voient dénier la possibilité de franchir « le Miroir » pour visiter le XXIe siècle, ont bien des merveilles à découvrir à Futurity même.
Mais rien n’est simple, surtout dans les récits de voyage dans le temps : au-delà des spectacles à base de séances de cinéma et de stupéfiantes machines volantes, certains « autochtones » trouvent aussi à se procurer des armes du futur… et tous, d’une manière ou d’une autre, reçoivent en pleine figure tant les bienfaits que les controverses de ce monde qu’ils ne peuvent tout simplement pas comprendre – au point où ce n’est plus la fascination qui prime, mais la peur : leur monde devrait évoluer pour donner ce XXIe siècle immoral, où les Noirs peuvent se promener avec leurs amis blancs, où les femmes portent le pantalon et votent, où des hommes peuvent se marier entre eux? ? Inacceptable? ! Or la simple existence de Futurity fait déjà bifurquer l’histoire…
Pour narrer ce choc entre deux mondes, Wilson, coutumier du fait, nous invite à suivre une trame policière centrée sur le personnage de Jesse Cullum, un « local » beaucoup moins brutasse qu’il n’en a l’air travaillant pour la sécurité de Futurity? ; après avoir sauvé le président Ulysse Grant d’un attentat, il se voit adjoindre une collègue, Elizabeth De Paul, une femme du futur, afin d’enquêter sur de bien inquiétants trafics…
D’où un roman qui peut être scindé en deux dimensions : la thématique proprement SF, et le fil rouge thriller. Dans la première de ces dimensions, La Cité du futur est une réussite : le roman aborde avec finesse des thématiques intéressantes – le progrès, l’évolution, la condescendance plus ou moins « coloniale » des touristes du futur, ou encore les bonnes intentions des activistes qui peuvent s’avérer aussi fatales que le cynisme des faiseurs d’argent. Que ce soit délibéré ou pas, il y a tout lieu de croire que les « Puppies » ne prisent guère ce roman – ça fait toujours plaisir, mais il n’a rien d’un pamphlet pour autant, et Wilson demeure un conteur subtil avant tout.
La dimension policière/thriller est hélas moins convaincante? ; c’est un procédé récurrent chez Wilson, à la réussite variable… Et, pour le coup, ça n’est guère satisfaisant : passé la première partie du roman, tout, sur le plan narratif, est systématiquement téléphoné? ; les événements s’enchaînent en mode automatique, et on sait avec une bonne avance absolument tout ce qui va se passer – guère palpitant… Par ailleurs, les personnages sont un peu trop stéréotypés, jusque dans leur lourd passif – l’auteur nous a habitués à mieux, la caractérisation des personnages ayant pu constituer une de ses marques de fabrique.
Reste que l’ensemble se lit bien, et sans doute mieux que ça. Le fond SF est suffisamment réussi pour que l’on veuille bien fermer les yeux sur ce que la trame-prétexte a de convenu, et le métier est là. La Cité du futur est un bon livre, oui – mais Wilson, à l’évidence, a fait bien mieux, et ce roman a donc quelque chose d’un peu « mineur » dans sa bibliographie.