Dans l’abondante production lovecraftienne francophone de ces derniers mois, La Clé d’argent des Contrées du Rêve se distingue : il s’agit cette fois de fiction, et dans le registre des « Contrées du Rêve », si rare et périlleux. Un registre cependant associé à l’éditeur, depuis la nouvelle traduction des Contrées du Rêve par David Camus, et le très beau Kadath publié en même temps. Depuis, hélas, Mnémos a poursuivi l’entreprise avec moins de discernement (aheum), ce dont témoignaient deux gros volumes de Brian « Unspeakable » Lumley. Hélas, la présente anthologie, sans jouer dans la même catégorie (ouf), ne convainc guère plus…
Elle véhicule l’impression désagréable d’avoir été conçue sans vraie implication, en tout cas sans enthousiasme : les « commandes » se succèdent, qui manquent d’âme autant que de pertinence – et pas un des auteurs, ici, ne se risque à rendre la dimension baroque essentielle de la production « dunsanienne » de Lovecraft? ; rares par ailleurs sont les auteurs qui parviennent à en tirer quoi que ce soit, à vrai dire… C’en est au point où la majorité de ces textes sont « inexistants ».
On sauvera peut-être Morgane Caussarieu, qui, avec son texte ayant un chaton pour héros, parvient de manière improbable à livrer le texte le plus angoissant et judicieusement dépressif de l’ensemble, et peut-être aussi Laurent Poujois, dans un registre plus divertissant, faisant l’aller-retour entre Monde de l’Éveil et Contrées du Rêve avec compétence, sinon originalité.
Neil Jomunsi, à la limite, livre un texte assez futé dans le fond, si la forme est plus critiquable. L’invraisemblable poème de Timothée Rey, aussi moche qu’amusant, défie quant à lui les classifications.
Le reste est le plus souvent au mieux ennuyeux et un peu navrant : Fabien Clavel joue la carte « professionnelle », comme Laurent Poujois, mais son récit criant d’artifice laisse indifférent (pour dire le moins). Raphaël Granier de Cassagnac fait dans l’autoréférentiel en prolongeant ses textes de Kadath, mais sans réussite. Alex Nikolavitch rend un ersatz mortellement ennuyeux de « Clé d’argent », et David Calvo trois pages félines à la façon d’un poème en prose au mieux hermétique.
Le pire du lot ? Sylvie Miller et Philippe Ward, pour un texte convenu et grotesque au possible, dans le mauvais sens du terme, et Vincent Tassy, qui, après avoir fait vaguement illusion pendant quelque temps dans un registre gogoth pas forcément très bien maîtrisé, produit une conclusion ridicule, presque criminelle à ce stade.
Quant à la cinquantaine de pages de « Randolph Carter » qui conclut le recueil, en reprenant texto des extraits de Lovecraft (traduction de David Camus – forcément…), si des inédits sont censés être du lot, elle ne fait que souligner jusqu’à l’absurde combien les auteurs qui précédaient ne parvenaient pas à s’exprimer dans le registre baroque et chatoyant propre aux récits dunsaniens de Lovecraft. Presque au point de convaincre le lecteur qu’on se foutait de sa gueule tout du long…
Un livre inutile. Il n’est certes pas le seul en matière de fictions lovecraftiennes, mais disons qu’il ne contribuera guère à la bonne image du registre en francophonie.