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Les critiques de Bifrost

La Complainte de Foranza

Sara DOKE
LEHA
400pp - 19,00 €

Critique parue en octobre 2020 dans Bifrost n° 100

Quelque chose de pourri hante les rues et venelles de Foranza/Firenze. Une série de crimes épouvantables touche les modèles féminins de quelques-uns des peintres les plus réputés de la cité-État suscitant l’émotion du gouvernement. Pour bien des hommes, ces atrocités apparaissent comme une insulte à la cité, aux artistes qu’elle chérit, aux fées qu’elle adore, un acte impie, une infamie. L’une des meilleures enquêtrices a été désignée par les autorités pour mettre un terme aux agissements de celui que l’on surnomme déjà le monstro et dont les femmes craignent désormais les actes. Mais l’individu n’est pas le seul motif d’inquiétude. La révolte gronde parmi les plus pauvres. Les hommes revendiquent les emplois dont les femmes les privent. Ils réclament le rétablissement de la primauté du sexe masculin dans le domaine professionnel. Et pendant que les viols et les émeutes se multiplient, une mystérieuse maladie frappe exclusivement les femmes, confirmant que quelque chose est vraiment pourri à Foranza.

Premier roman de Sara Doke, La Complainte de Foranza est une évocation de la Renaissance italienne mâtinée de fantasy et d’anachronismes. Elle insère dans cet écrin raffiné une intrigue très noire que n’aurait pas désavoué Paul McAuley et son roman Les Conjurés de Florence, l’une des inspirations avouées de l’autrice. Elle adjoint également au récit un propos féministe tout en nuance dont l’argumentation fait écho à l’actualité. Hélas, l’intrigue oscille autour d’une double trame dont l’entrelacement dessine un récit bancal où le politique et le féerique ne parviennent pas vrai-ment à entrer en résonance. Bien au contraire, la féerie vient parasiter la trame principale contribuant à rendre les enjeux confus. Le fait est regrettable, d’autant plus que Sara Doke distille une réflexion salutaire sur la notion de progrès social, sur le rôle du politique dans la société, sur l’évolution nécessaire des mœurs et sur l’extrémisme résultant de changements mal vécus. Elle prend ainsi le contre-pied des stéréotypes de genre sans verser dans l’outrance, nous faisant prendre conscience que les mutations sociétales résultent de bouleversements sociaux plus profonds et d’une certaine façon inéluctables.

Par son univers décalé, son propos politique et sa dimension éthique, La Complainte de Foranza reste toutefois une œuvre riche de promesses qui, même si elles ne sont pas toutes tenues avec satisfaction, n’en demeure pas moins intéressante. Pour peu qu’on aille au-delà de l’intrigue paresseuse et de l’entrelacement narratif laborieux afin d’en apprécier la saveur.

Laurent LELEU

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