Valerio EVANGELISTI
MÉTAILIÉ
413pp - 22,50 €
Critique parue en janvier 2023 dans Bifrost n° 109
Quand on est diplômé en sciences politiques, spécialisé en Histoire moderne, et qu’on est réputé passer chaque année du temps à Puerto Escondido, au Mexique, il est inévitable qu’un roman consacré aux luttes ayant déchiré et construit tout à la fois ce pays finisse par émerger. Ce livre, c’est La Coulée de feu, consacré aux années 1859-1890, de la guerre civile entre Libéraux et Conservateurs au début du troisième mandat du dictateur Porfirio Diaz. Une suite, Il Collare spezzato, parue en 2006 mais malheureusement jamais traduite en français, continue cette fresque historique jusque dans les années 30, décrivant notamment la Révolution qui a fait entrer les noms de Zapata et de Pancho Villa dans la légende.
Evangelisti nous conte à la fois la construction d’une nation mexicaine indépendante à partir d’éléments disparates se vouant parfois une haine féroce, et celle des luttes politiques, sociales et syndicales, menées par le peuple contre des forces, y compris libérales, qui le spolient de ses terres, le réduisent quasiment en esclavage et procèdent même à des épurations ethniques. Le Mexique en devenir doit faire face, selon l’époque, à ses propres forces conservatrices, à un interventionnisme américain (notamment des Texas Rangers, racistes et violents, loin de l’image héroïque donnée par la série avec Chuck Norris), à des rêves de reconstruction d’une seconde Confédération de la part de troupes Sudistes après la Guerre de Sécession, à des seigneurs de guerre (les Caciques), à l’impérialisme de la Triple Alliance, et peut-être, surtout, au fait que l’indépendance acquise face aux forces réactionnaires ou européennes et le triomphe des libéraux ne crée pas un pays de cocagne, mais une dictature où indiens et pauvres, paysans et ouvriers, sont écrasés, et où les intérêts anglais et américains contrôlent la majorité de l’infrastructure, minière ou ferroviaire.
L’auteur nous raconte tout cela d’une plume mordante sans être cynique, via de très nombreux personnages / points de vue, anglo-saxons ou hispaniques, issus de toutes les classes de la société texane / sudiste ou mexicaine, bien souvent voués à un destin tragique. Et c’est là que se situe le potentiel défaut de ce roman : outre les ellipses temporelles et la complexité inhérente à l’Histoire politique de ce pays, le nombre très élevé de points de vue rend certes la narration très dynamique, mais finit à la longue par perdre un peu l’honnête lecteur. Sans compter le côté caricatural des personnages féminins, de la vierge (guerrière) courageuse à la putain arriviste, sans nuance entre ces extrêmes. Toutefois, si vous vous intéressez à l’émergence du Mexique et à ses relations complexes avec les américains, ce roman d’une érudition admirable est incontournable.