Dans ce recueil de sept de ses nouvelles des années 1950. Simak déploie son talent de conteur, utilisant la gravité ou l'humour pour faire passer en filigrane sa conception de l'existence.
On peut distinguer un thème commun dans les quatre premiers textes : celui de la difficulté de comprendre ou de communiquer avec l'Autre, que cet autre soit humain ou extraterrestre. Dans la nouvelle éponyme qui ouvre le livre, un idiot du village, subitement doté de facultés surhumaines, décide de rendre le bien pour le mal en forçant incognito les habitants de sa bourgade à devenir honnêtes… pour s'étonner ensuite de capter moins de pensées heureuses ! Une histoire au regard à la fois cynique et sensible sur l'homme et son égocentrisme, malheureusement affaiblie par le changement de point de vue qu'impose le placage d'une inutile explication science-fictive des nouvelles capacités de Jim.
Le Zèbre poussiéreux nous place dans un décor assez inhabituel chez l'auteur, la maison, qu'on imagine située dans une banlieue résidentielle, d'une famille de la middle-class américaine. Le père découvre dans son cabinet de travail un moyen d'échanger des objets avec… quoi ? Un autre monde ? Une autre dimension ? Quoi qu'il en soit, le voilà décidé à faire du troc. Des associés jouant aux apprentis sorciers, un ton léger, voilà qui n'est pas sans rappeler La clef laxienne. Mais Simak est moins grinçant, plus optimiste que Sheckley.
Remâchant sa rancœur, le général Flood d'Honorable adversaire doit procéder à un échange de prisonniers avec les Fivers, qui ont battu la Terre à plate couture. Tout le déroute chez ces Fivers qu'on pourrait croire « conçus et habillés dans le dessein délibéré d'offenser un œil militaire ». Et tout, bien sûr, repose sur un énorme malentendu, comme Flood finira par le comprendre… Un happy end ? Que nenni, puisque, après s'être rendu coupable d'anthropomorphisme, le représentant de la Terre imaginera sans coup férir comment tirer avantage du malentendu.
Lulu est le titre de la quatrième nouvelle et le surnom donné par son équipage au robot-astronef qui les emmène en expédition dans l'espace interstellaire. Hélas, gavée de romans sentimentaux lors de son “éducation”, voilà que la machine se déclare soudain amoureuse des trois hommes et décide de les enlever. Comment faire entendre raison à une femme amoureuse, fût-elle réduite à une personnalité adoptée par un robot ? C'est le ressort de cette histoire désopilante.
Le Prix Hugo a récompensé en 1959 La Grande cour de devant, texte au charme simakien incontestable (en dépit de l'absence de robots). Qu'on en juge : c'est l'histoire d'un petit brocanteur et réparateur qui vit paisiblement dans la vieille demeure familiale et qui, droit dans ses bottes, aidé de son fidèle chien et de l'idiot du village, armé de son expérience du troc, fera face aux responsabilités qu'il estime lui incomber quand s'ouvre inopinément chez lui un passage vers un autre monde. Toute la philosophie de Simak est là.
Vient ensuite Copie carbone. Le titre livre un indice de la solution du mystère auquel est confronté cet agent immobilier à qui un étrange individu vient proposer de louer à un prix ridicule des maisons d'un lotissement de luxe… et revient quelque temps plus tard lui enjoindre de les relouer, les maisons étant toujours vides… Un texte gentiment moralisateur à la lecture agréable, sans plus.
Le recueil se termine en beauté avec Le Père fondateur, texte court dont je me refuse à dévoiler ici le contenu de peur d'en gâcher le plaisir de lecture. Simak y confronte de façon terriblement empathique la fragilité de l'individu humain, désormais immortel mais toujours animal social, à l'immensité de l'univers dans lequel l'Humanité s'est lancée à la conquête des étoiles.