Ce recueil est un chef-d’œuvre. Il reste cependant méconnu car, suite à l’échec commercial et critique de l’ouvrage, l’auteur récupéra certaines des nouvelles pour les placer dans d’autres recueils. L’édition Alma de La Croisière des ombres récemment publiée entend donc redonner l’étonnante unité de ce volume, tout entier placé sous le signe d’une solitude effarée. Comment, en effet, ne pas être frappé par ce singulier dénuement des personnages, ayant pour tout bagage un corps et des sensations. L’intellect refuse d’appréhender l’inconnu, à partir du moment où disparaît « cette paille de bon sens qui flottait solitaire, sur l’océan de ma terreur » (« Dürer, l’idiot »). On voyage donc seul, dans cette croisière des ombres, un voyage aimanté par l’infini de l’inconnu. Avec un style qui allie de manière singulière écriture blanche et métaphores inattendues, Jean Ray propose ici un rare équilibre entre une atmosphère angoissante proche de l’épouvante, et un fantastique qui laisse en suspens toute possibilité d’explication. C’est là le travail d’un virtuose, un maître de la nouvelle.