Spider ROBINSON, Jeanne ROBINSON
ACTUSF
368pp - 18,00 €
Critique parue en juillet 2015 dans Bifrost n° 79
On ne sait pas ce qui se passe dans la tête des éditeurs, mais il arrive qu’ils nous sortent une réédition de derrière les fagots que plus personne n’osait espérer depuis des lustres. Ainsi cette Danse des étoiles. Ce roman parut pour la première fois en français en 1979, dans la prestigieuse collection « Dimensions SF » que dirigeait feu Robert Louit pour Calmann-Lévy, dont les auteurs phares n’étaient autres que James G. Ballard, Christopher Priest ou Ian Watson. La collection emblématique de la fiction spéculative. Jusqu’à présent, une dizaine de texte n’avait pas été rééditée, dont cinq anglo-saxons. Si Aldiss et Lafferty sont bien connus des fans, on ne saurait dire qu’ils trustent la liste des best-sellers ; John W. Jakes et Mark Adlard sont pour leur part quasiment inconnus, à l’instar de Spider Robinson.
La Danse des étoiles, resté ignoré durant plus de trente-cinq années d’un long purgatoire bien que sa première version ait remporté les prix Nebula, Hugo et Locus, demeure à ce jour le principal titre de gloire de son auteur. N'en déplaise à Noureïev, Barychnikov ou Nijinski, et aux ballets russes de Diaghilev : la danse reste plutôt perçue comme un art féminin. Terpsichore n’a que peu inspiré les auteurs de SF, et les rares textes qui en sont épris sont dus à des plumes féminines. Citons Danse aérienne de Nancy Kress, je crois aussi me souvenir d’une nouvelle de Vonarburg… Et ce roman, écrit à quatre mains avec Jeanne, la femme de Spider Robinson, danseuse et chorégraphe.
Shara Drummond, danseuse et chorégraphe de génie, ne pouvait pas réussir sur Terre. En effet, Shara est une grande femme plantureuse. Elle n’a pas la morphologie adéquate qu’exige la danse moderne. Quand le milliardaire Carrington l’invite sur Skyfac, la station orbitale qu’il a fait construire, entre autres, pour circonvenir son propre handicap, elle saute sur l’occasion et fait appel à son vieil ami, Charlie Armstead, ancien danseur qu’un cambriolage ayant mal tourné a également laissé handicapé et qui s’est reconverti en opérateur vidéo. Pour danser en apesanteur, il faut pouvoir se passer de verticale locale, ce à quoi bien peu parviennent. De plus, à séjourner trop longtemps en apesanteur, le corps risque de s’adapter définitivement, auquel cas le retour dans le puits de gravité s’avérerait mortel. Shara Drummond n’en réussit pas moins à renouveler de fond en comble un art qui s’était fourvoyé dans des impasses. Durant ce temps, d’énigmatiques extraterrestres s’approchent de la Terre par petits bonds… C’est bien entendu grâce à la danse que l’humanité parviendra à entrer en contact avec eux…
La première partie voit progressivement croître sa tension dramatique jusqu’à la confrontation avec les extraterrestres. Cette partie initiale semble constituer un récit complet en soi. La deuxième partie se résume à une longue séquence d’exposition au cours de laquelle Charlie Armstead et Norrey Drummond, la sœur de Shara, tentent de développer la danse en chute libre, ce qui ne va pas sans mal. Elle permet d’introduire quatre personnages supplémentaires mais manque singulièrement de rythme ; les péripéties peinent à intéresser et semblent surajoutées. Quand les extraterrestres sont enfin de retour, non seulement on s’y attendait, mais surtout, on n’attendait que ça ! La dernière partie va envoyer La Danse des étoiles sur une orbite eschatologique qui rapprochera ce roman de livres tels que Les Enfants d’Icare d’Arthur C. Clarke. Ces extraterrestres s’apparentent aux Suzerains ou aux énigmatiques visiteurs du Vaisseau des voyageurs de Robert Charles Wilson par ce qu’ils ont à offrir à l’humanité. Encore faudra-t-il être à même de le comprendre afin de pouvoir s’en saisir… et il va de soi que les humains ne sont pas tous sur la même longueur d’onde.
À l’instar de La Guerre éternelle, La Danse des étoiles est un roman qui vient d’émerger du post-passé – j’entends par cette expression une période assez récente constituant une sorte d’angle mort entre présent et passé ; ce n’est déjà plus le présent, mais pas encore le passé, un espace temporel d’une bonne vingtaine d’années (de 1980 à 2000/2005). Quand des livres comme ces deux-là portent l’empreinte de l’époque qui les a vu écrire (ici, les années 70), ils deviennent difficiles à lire et imposent une gymnastique intellectuelle qui peut parfois s’avérer pénible. Il était certainement nécessaire de les laisser glisser vers le passé comme un nageur fait une coulée. La Danse des étoiles vient ainsi de resurgir de la zone d’ombre de l’histoire. Des techniques vidéo d’un autre âge, l’absence de numérique et de virtualité, les références à l’Union Soviétique situent désormais ce roman comme une œuvre du passé, l’ambiguïté est levée.
Si La Danse des étoiles souffre d’un ventre mou, ça n’en reste pas moins un roman remarquable construit sur la double thématique du dialogue avec l’autre et du renouvellement d’un art grâce aux possibilités offertes par le progrès. C’est de plus, on l’a dit, une des rares œuvres de SF traitant de la danse. Autant d’éléments qui, s’ils n’en font pas un chef-d’œuvre absolu, font de cette Danse des étoiles une occasion à ne pas manquer.