Yara EL-GHADBAN
MÉMOIRE D'ENCRIER
268pp - 22,00 €
Critique parue en janvier 2025 dans Bifrost n° 117
Trouver les éditions Mémoire d’Encrier dans ces pages n’est pas chose commune : et pour cause, leur catalogue s’inscrit dans le champ de la littérature générale. Mais l’Imaginaire s’infiltre partout, et c’est ici une utopie que la maison québécoise nous propose.
La Danse des flamants roses est le quatrième roman de Yara El-Ghadban, romancière et anthropologue vivant à Montréal, d’origine palestinienne. La précision a son importance puisque c’est en Palestine que se situe ce livre, que son utopie naît et se déploie. L’idée d’y inscrire les bases d’un monde nouveau est aussi au cœur du puissant Tout pour tout le monde de M.E. O’Brien et Eman Abdelhadi, mais ici le traitement diffère grandement — moins frontalement politique.
Suite à l’évaporation de la Mer Morte et à une épidémie massivement létale déclenchée par le sel, un groupe survit dans la vallée, au-delà des nationalités et confessions d’avant. Une nouvelle micro-société émerge, avec un rapport au monde radicalement altéré. Car si la survie fut possible, elle est due à l’arrivée de flamants roses. Dans ce roman, le ton et la vision se placent à un niveau poétique, adoptant parfois la parure d’un conte.
La narration change suivant les protagonistes, et de nombreux vivants (faune et flore confondues) viennent interagir et dialoguer avec certains d’entre eux, selon leur grammaire propre. Le travail sur la mise en page est astucieux, et c’est parfois de véritables calligrammes qui s’offrent à nos yeux.
Dans le groupe, les statuts n’ont pas totalement disparu (anciennement : universitaire, rabbin, paysanne, général-major, esthéticien, musicien), chaque personnage se servant de ses compétences et capacités passées pour servir le groupe, mais les titres ont changé. La langue est d’ailleurs un élément central du roman, et constitue la première base de cet élan à l’œuvre : le pouvoir de nommer les choses et les conséquences de cet acte forment l’un des fils rouges du livre. Le personnage principal s’appelle d’ailleurs Alef, nom de la première lettre des alphabets arabe et hébreu. Alef, le premier enfant de l’ère des flamants.
L’importance de la mémoire collective est également centrale. Ne pas oublier les erreurs du passé pour ne pas les réitérer, volonté théoriquement assez commune aux sociétés, mais qui ici s’impose même à ce groupe d’abord à l’article de la mort, puis à la survie plus que rude.
Interrogeant le rapport au(x) vivant(s), La Danse des flamants roses est un cri résolument écologiste autant que plaidoyer anti-spéciste. Une parenthèse poétique radicale dans le chaos du réel.