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Les critiques de Bifrost

La Déchirure

La Déchirure

Robin HOBB
PYGMALION
21,50 €

Bifrost n° 45

Critique parue en janvier 2007 dans Bifrost n° 45

Jamère, tout entier tendu vers ce but, ne se doute pas qu'un événement singulier va bouleverser cet avenir auquel il aspire : forcé dans une transe chamanique, il s'offre à l'Esprit de la forêt, sans savoir réellement à quoi il s'engage. Mais l'Esprit de la forêt a des projets pour lui. Puisque la magie lui a offert Jamère, ce dernier va donc agir en son nom dans le monde des hommes. Bien sûr, Jamère n'en sait encore rien…

Avez-vous déjà lu Robin Hobb ? Cet auteur possède le talent rare d'écrire des histoires déjà racontées des dizaines de fois, des histoires qu'elle ne transforme pas vraiment, au sein d'un genre qu'elle ne renouvelle en rien, mais qu'elle écrit d'une telle façon qu'elle les rend, non pas neuves, mais passionnantes. L'histoire de Jamère et de Gernia, la société dans laquelle le héros vit, tout cela a déjà été raconté tant de fois que l'on pourrait dès l'abord être blasé. Voyez plutôt : une société aux règles rigides axée sur deux grands principes, la foi et la technologie, qui manque d'espace pour se développer. En face, l'ancien monde, dominé par les anciens dieux (normal) et la magie (ben oui), dont les terres n'appartiennent officiellement à personne mais sur lesquelles vivent une multitude de petites tribus nomades pour certaines très agressives. La technologie qui tue la magie, le nouveau dieu qui écrase les anciens, la société moderne et éclairée qui apporte la civilisation aux sauvages à coup de guerres pacificatrices. Coincé entre les deux, le héros devra accomplir sa quête, choisir son camp et devenir un homme. Je vous avais prévenu : nous connaissons tout ça sur le bout des doigts. Oui mais voilà, c'est Robin Hobb, et ça change tout. Une seule page dans le livre, n'importe où, et vous voilà aspiré. Le phénomène est fascinant. L'absence de surprise est compensée par un sens du récit extraordinaire, une écriture fluide et rythmée, des personnages superbes et un sens de la description qui vous projette directement au cœur de l'histoire.

Bien sûr, il y a quelques défauts dans ce premier opus, mais ils sont inhérents au choix du récit et compliqués à contourner. Robin Hobb s'est enfermée dans un monde tellement rigide et codifié qu'il lui est difficile d'apporter beaucoup de variété. Ainsi, Jamère se révèle un personnage un peu fade et monolithique, à qui il n'arrive pas grand-chose. D'autant que ce premier tome traite de la jeunesse du héros (entre huit et dix-huit ans), d'où une rigidité du personnage accrue, une figure narrative qui apparaît sans réflexion personnelle ni subtilité, et surtout totalement passive. L'histoire s'en trouve donc être moins frénétique et ouverte que ce qu'on a coutume de lire sous la plume de Robin Hobb, même si elle n'en reste pas moins passionnante. Gageons que Jamère, une fois sorti des bottes de cavalerie de son père, et au vu des épreuves qui l'attendent, gagnera l'épaisseur et la complexité qui lui manquent dans ce volet d'ouverture. Une trilogie (honteusement coupée en deux par l'éditeur français, qui considère Robin Hobb comme sa vache à lait et ses lecteurs comme des imbéciles, soit un total de six volumes plutôt que trois…) à couver d'un œil gourmand, en tout cas…

Sandrine GRENIER

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