John SCALZI
L'ATALANTE
420pp - 22,50 €
Critique parue en avril 2021 dans Bifrost n° 102
Trilogie annoncée, trilogie respectée. Ce dont on ne se plaindra pas, en ces temps de séries à rallonge. D’ailleurs, c’est la première fois que John Scalzi se donne ainsi une limite. Et cela lui réussit pleinement. Petit rappel : le Flux, qui relie toutes les zones d’habitation humaines, est en passe de s’effondrer. Or, parmi tous ces lieux, un seul est viable de façon autonome, la planète portant le doux nom de Bout. Les autres sont des stations spatiales et autres conglomérats hors sol, tributaires, donc, de l’approvisionnement apporté par le Flux. En conséquence, c’est la débandade : chacun pour soi et tant pis pour les milliards de pauvres. Les riches et puissants s’entredéchirent pour savoir qui s’en sortira et, surtout, avec quel bénéfice (on ne va quand même pas perdre une occasion de faire du profit, non?). Au milieu de ce micmac, la « naïve » emperox Griselda est aux commandes. Naïve, car elle pense avant tout à sauver le maximum de personnes et non à s’enrichir. Elle détonne fortement dans ce panier de crabes haut en couleurs. Parviendra-t-elle à aider son peuple à survivre à cette épreuve ou périra-t-elle lors d’une énième tentative d’assassinat ? Les paris sont ouverts.
Trois cents pages pour boucler l’histoire, cela ne laisse guère le temps d’une pause café (clope). Même si les premiers chapitres sont un poil lents, histoire de rafraîchir la mémoire des lecteurs, le rythme bascule vite dans le passablement débridé. Et ça, John Scalzi maitrise : les turpitudes, les coups en douce (ou en force), les trahisons, les complots, les meurtres. La Dernière emperox, c’est un concentré explosif des deux premiers tomes. Cela grouille de méchanceté et de vénalité, de haine et de cupidité. Les personnages sont outrageusement égoïstes et égocentriques. Et ils l’assument pleinement. Kiva Lagos, pour ne citer qu’elle, encore, dont la mère est tout aussi charmante. Surtout au niveau du langage. On imagine le nombre de pavés noirs dans une version caviardée des dialogues pour une édition policée, tant les « putains » et autres joyeusetés fleurissent. Un coup de chapeau au traducteur, Mikael Cabon, qui a dû bien s’amuser avec certaines trouvailles scatologiques fort inventives.
« Girl Power » pourrait écrire John Scalzi, tant cette trilogie met en avant des femmes fortes et pugnaces. Car ce sont elles qui dirigent les rouages de cette société. Ayant parfaitement enregistré les mécanismes habituels, les codes attendus, elles les utilisent en les pliant à leur profit, y ajoutant le recours sans complexe à leurs charmes. Des premiers rôles, assurément, à la grande satisfaction du lecteur, et cela sans être de pâles copies de leurs homologues masculins.
John Scalzi réussit ici à boucler de manière efficace (et pas si téléphonée que cela) une histoire aux larges ramifications qui évite de se perdre dans les méandres de la politique basse et mesquine de l’Interdépendance. Brossant un tableau plutôt riche des interactions entre dirigeants, il y ajoute une pincée de science en guise de caution, un soupçon de psychologie pour faire bonne mesure, et propose au final, avec un divertissement réjouissant, un « putain » de bon moment de détente, assurément.