Alors que le film de Ridley Scott avec Russell Crowe sort sur les écrans, Jérôme Noirez nous livre sa vision de Robin des Bois. Dans ce roman, le seigneur de Loxley, qui élève seul sa fille Diane depuis le décès de Marianne, décide de se rendre à Londres pour s’occuper de ses affaires, mais aussi pour changer les idées de Diane. Celle-ci est en effet en pleine crise d’adolescence, rebelle à l’autorité parentale, et ceci d’autant plus que son père n’est selon elle guère conforme à sa légende. Elle envisage avec horreur d’aller à Londres, même si Will l’écarlate les reçoit avec bonheur. Toutefois, la ville bruyante et malodorante va vite devenir un terrain de jeux pour la jeune fille, confrontée à une menace démoniaque qui pèse sur la ville. Diane saura-t-elle déjouer le complot ? Parviendra-t-elle à gagner la confiance du prince des mendiants, et à redorer le blason des compagnons de Sherwood, qui, à des degrés divers, ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes ?
C’est à une passionnante relecture du mythe de Robin des Bois que nous convie ici Jérôme Noirez. On pourrait trouver facile le procédé de prendre pour protagoniste la fille du légendaire personnage, mais force est de constater que ça fonctionne. Cela tient tout d’abord au décor : le Londres du XIIIe siècle est ici particulièrement crédible. Jérôme Noirez sait utiliser le détail qui sonne juste, comme par exemple les instruments de musique de l’époque — rappelons à ce titre que l’auteur est spécialiste de la musique médiévale. Les personnages sont également bien campés, tous crédibles, même s’ils n’ont qu’une petite partition à jouer ; mention spéciale au shérif de Nottingham, remarquablement bien travaillé.
Le roman est rythmé en diable, ne mollit jamais, et fait la part belle aux actes héroïques, dans la plus pure tradition de Robin des Bois — il y a notamment un certain nombre de clins d’œil, comme par exemple la façon de pénétrer dans la demeure d’un des nantis (par les airs). Saupoudrez d’une bonne dose d’humour lié à la truculence des personnages, et vous comprendrez que ce livre se dévore d’une traite.
Mais il s’agit quand même d’un texte signé Jérôme Noirez. Et l’univers de l’auteur est pour le moins, comment dire… torturé. Aussi ne pouvait-il écrire une histoire à la Walt Disney : La Dernière flèche baigne dans une ambiance très sombre, voire maléfique. Ville bruyante, malodorante, Londres est aussi le théâtre d’actes violents, contre nature ; elle croule également sous la misère. Noirez ne se contente pas, au prétexte qu’il écrirait pour la jeunesse, d’en livrer une version édulcorée. Après tout, Londres au XIIIe siècle ne devait pas sentir la rose, loin de là. Au contraire, il nous met le nez dans la fange, afin que l’on s’imprègne des remugles de la pauvreté ou de l’âme humaine. Les légendes ne seraient pas ce qu’elles sont si elles ne côtoyaient la laideur, voire ne naissaient de cette dernière. En fait, si écriture pour jeunesse il y a, il faut moins la chercher du côté de la thématique que de la facilité de lecture, du fait d’une intrigue linéaire sans réelle surprise — une simplicité qui sert parfaitement le propos.
La thématique de La Dernière flèche, ce sont bien évidemment les légendes qui, selon la quatrième de couverture, « ne meurent jamais ». Robin des Bois n’est plus que l’ombre de lui-même ? Qu’importe, sa fille prendra le relais, et saura bâtir à son tour un mythe ; le roman se pare alors d’une bien belle réflexion sur la filiation, rendue encore plus difficile par la personnalité du père. Et l’adolescente rebelle, qui raisonne surtout en fonction de ses envies, va peu à peu s’ouvrir à son entourage et passer à l’âge adulte, même si cela ne se fera pas sans douleur — on aura rarement vu livre pour la jeunesse où les menstrues sont décrites aussi crûment.
Bref, à plus d’un titre, La Dernière flèche est un splendide roman, qui confirme si besoin était encore que Jérôme Noirez est un écrivain talentueux, capable de passer de la littérature adulte à celle pour la jeunesse sans trahir son propos. Et de s’approprier un mythe qu’on n’aurait pas nécessairement imaginé très soluble dans l’univers de l’auteur. Une bien belle réussite.