Nous sommes à Helsinki, demain, bientôt. Une ville qu’on pourrait croire sortie du Blade Runner de Ridley Scott, crépusculaire, fangeuse, déliquescente, noyée sous le rideau des pluies incessantes et la mer qui envahit tout, melting-pot de cultures du monde entier fuyant les changements climatiques et le « global warming » catastrophique qui ravagent les nations du Sud et ont déraciné près d’un milliard de personnes… Pas la fête, donc, même si dans deux jours c’est Noël. D’autant qu’une série de meurtres épouvantables ensanglante la ville, l’œuvre d’un tueur en série, sans doute, popularisé sous le nom de « Guérisseur ». Johanna est journaliste. A l’ancienne mode. Celle qui investigue. Qui débusque. Elle a disparu depuis pas loin de quarante-huit heures. Plus un signe de vie. Et quand Tapani Lethinen, son mari, découvre qu’elle enquêtait sur ce fameux tueur, il sait combien, au regard de l’état des pouvoirs publics finlandais et du sous-effectif drastique des forces de police, il devra se débrouiller seul s’il veut retrouver vivante la femme qu’il aime…
Antti Tuomainen est né en 1971 ; La Dernière pluie est son troisième roman, le premier à quitter les frontières linguistiques du finnois, et de jolie manière, puisque les droits dudit roman, lauréat du Clue Award 2011, prix finnois récompensant le meilleur thriller de l’année, ont été vendus dans vingt-six pays. Quand même… Et force est de constater qu’après avoir refermé la dernière page de ce court thriller d’anticipation des plus nerveux, on comprend pourquoi.
Tout du long raconté à la première personne, du point de vue de Tapani Lethinen, dans un style sec et serré, La Dernière pluie révèle d’emblée un magnétisme et une dimension immersive étonnants. Et ce en dépit (à moins que ce ne soit plutôt grâce à) d’un rythme syncopé peu coutumier. Car Tuomainen enchaîne les courts chapitres épurés en maîtrisant à la perfection la technique du « show don’t tell », brossant pièce après pièce un tableau d’ensemble saisissant (d’horreur, faut-il le préciser) tout de clairs-obscurs. Le narrateur se démène dans un monde qui, lui, a renoncé depuis longtemps, porté par un amour exclusif des plus poignants, comme une lueur, la seule possible, là où la radicalisation brutale le dispute à la connerie crasse, le fascisme, insidieux et ordinaire, au laisser-aller d’une complaisance épuisée. L’amour en guise de rédemption d’un monde condamné, en somme ; rien de bien neuf sous la pluie sombre, argueront certains, mais ici traité avec une justesse aussi mature que sincère, touchante, ô combien.
On sort de ce récit d’anticipation noir avec en soi la résonnance d’une bien belle histoire en dépit de son contexte tendu car hyper réaliste, le cœur bercé d’un soupçon d’espoir, malgré tout, espoir ténu mais réel quant au pouvoir de l’impalpable, l’inquantifiable, le non monnayable, l’inutile, en somme, aux yeux d’un monde condamné car perdu dans son cynisme et ses calculs — la beauté, la poésie, le simple émerveillement de l’amour. Un magnifique sentiment, pour un roman qui ne l’est pas moins… A lire, assurément.