Bulle travaille pour un journal : elle code les algorithmes qui écriront les articles politiquement corrects. Elle vit avec Ernest, un ingénieur au chômage, sans espoir d’emploi, génial bricoleur qui répare les objets récupérés dans les décharges, activité de restauration illégale qu’il poursuit avec d’autres rêveurs comme Élise et Ethan, lequel porte des bras bioniques. Son jeune frère, activiste sans cervelle amateur de Chaoss, de la techno ultra-hardcore, se fait régulièrement enfermer dans un camp du Front Populaire, lieu de réclusion où finissent les miséreux poussés vers la délinquance, espace sans foi ni loi d’où l’on ne sort pas indemne – quand on sort. Bulle se ruine en pots-de-vin pour le tirer de là. L’annonce de sa grossesse lui fait prendre conscience du monde dans lequel elle vit. Veut-elle donner la vie dans cette société à bout de souffle? ? Ernest y tient, propose la résistance. Un petit groupe qui s’étoffe de nouveaux récupérateurs est prêt à tenter l’aventure utopique, dans les montagnes, en faisant pousser ses propres légumes, communauté ouverte entamant un retour à la terre où s’inventer un avenir.
Voici une dystopie comme on n’en fait plus depuis les années soixante-dix. Il faut reconnaître que Jennifer Murzeau a chargé la mule : les riches vivent sous des dômes aseptisés tandis que le reste de la population asphyxiée par une pollution acide, avale, sous couvert de protection sanitaire, l’Exilnox, une pilule qui s’assure de la docilité des citoyens. L’État emploie malgré tout des robots contre les mécréants, qui doivent être nombreux au vu de la surpopulation des camps du Front Populaire. Comme le chômage concerne soixante-dix pour cent de la population, et que la restauration de ce que la société de consommation rejette est interdit, on se demande si la publicité obligatoire (la refuser est puni d’une amende, comme dans un épisode de la série Black Mirror) qui s’imprime sur la rétine ou s’invite à tout bout de champ dans le paysage trouve encore des clients. Les pauvres sont gratuitement nourris avec une pâte issue de la chimie industrielle. La malbouffe est si répandue que Bulle ignorait qu’il était possible de faire pousser des légumes soi-même : on le voit, l’excès génère sa propre bouillie dystopique.
Tout ce que dénonce l’auteur est exact, mais l’accumulation et la juxtaposition naïves provoquent des incohérences aussi difficiles à avaler que la pilule de docilité. Comment croire, dans un monde automatisé, qu’il existe dans les montagnes des zones que ne surveillent pas les satellites, parce que désertées par les stations de ski victimes de la sécheresse? ? On peut aussi se demander pourquoi, dans ce Paris de 2050, tout se paie en dollars. Les solutions déroulent elles aussi un catalogue de mesures existantes, de la permaculture à la récupération de l’eau de pluie, de recettes récupérées sur web aux décisions collégiales planifiant la vie en communauté, à grand renfort d’éoliennes et de photovoltaïque. Malgré les moments de découragement et les disputes, on a du mal à croire à la réussite d’une telle colonie. Ce sont justement les difficultés imaginées pour donner un semblant de réalisme qui nuisent à la plausibilité, là où un flou artistique aurait été bienvenu.
Le happy end de la conclusion rend le récit encore plus improbable. L’intrigue minimaliste déroule un discours convenu, parfois moralisateur avec certes, une plume volontiers lyrique, qui cisèle ici et là des aphorismes (quelques fautes subsistent cependant). Il n’est pas certain que, malgré la présence de tropes familiers, le lecteur de science-fiction y trouvera son compte. Moins qu’un roman, une fable idéaliste trop simpliste pour convaincre. On se contentera de saluer la démarche incitant à refuser les choix de société actuels, le message restant plus que jamais d’actualité.