Jean-Marc LOFFICIER, Robert SHECKLEY
BLACK COAT PRESS
236pp - 17,00 €
Critique parue en janvier 2008 dans Bifrost n° 49
Robert Sheckley a tiré sa révérence en 2005. Il doit bien se marrer, maintenant qu'il a rejoint Fredric Brown et John Sladek. Mais il n'est pas parti comme ça, le bougre ! Il nous a laissé rien moins qu'un dernier roman : La Dimension des miracles revisitée. Nous retrouvons donc ici Carmody, le héros de La Dimension des miracles (dont la dernière édition française, au Livre de Poche, indisponible, date de 1989), qui était parti chercher son prix au Centre galactique. Le premier tome de ce diptyque se concentrait sur Tom, et le long chemin qui devait le ramener à la Terre. Le fameux Centre galactique n'était qu'évoqué au tout début du roman. Dans La Dimension des miracles revisitée, Sheckley nous convie à une visite guidée de cet étrange royaume qu'est le Centre galactique. Il apparaît vite qu'il s'agit d'un royaume d'opérette dirigé par un souverain fantasque, qui n'en fait qu'à sa tête. Le mystérieux Baron Corvo, plus proche de Fouché que de son excentrique homonyme terrien, s'occupe d'y faire régner l'ordre et la sécurité. Carmody y jouit du statut d'un véritable dieu. On ne compte pas les reliques et autres objets qu'il aurait laissé ici ou là. Objets qui font surtout la fortune des marchands du temple. Bref, tout irait pour le mieux si on ne complotait pas pour renverser le roi. C'est dans ce contexte que débarque Carmody, convoqué par le roi. Sauf que le roi est en fuite, et que personne ne sait s'il est même encore en vie ! Autant le dire tout de suite, il est difficile de résumer un roman de Sheckley, et celui-ci ne fait pas exception à la règle : au contraire ! Roman polyphonique, l'auteur y croise les destins et les intrigues avec bonheur. On y retrouve avec grand plaisir cette ambiance de joyeux foutoir délirant, où la loufoquerie le dispute au délire le plus échevelé. On y verra entre autres un cendrier et une cigarette confronter leurs visions réciproques de l'univers. On en apprendra aussi beaucoup sur le commerce légal des armes illégales. Sans parler des interventions de l'auteur et autre bug de la réalité ! J'en passe et des meilleures, car Sheckley ne se limite pas au délire. Sans avoir l'air d'y toucher, il tire à boulets rouges sur la xénophobie et le racisme. La Shoah est même évoquée avec une pudeur poignante. Il s'interroge également sur la nature et la légitimité même du pouvoir. Sous l'humour, Sheckley glisse avec grand talent de la réflexion et même de l'émotion. On a presque l'impression par moment de lire du Sturgeon. Saluons donc Rivière blanche pour son heureuse initiative. Initiative Préfacée par Robert Silverberg, qui plus est ! Profitons-en aussi pour rappeler combien Sheckley nous manque. Il serait grand temps que les éditeurs français ressortent Oméga, Pèlerinage à la Terre ou La Dimension des miracles. Toutefois, quand on sait que cette Dimension des miracles revisitée n'a pas trouvé preneur ailleurs qu'en France, et même pas aux USA ou au Royaume-Uni, on est effondré. Il serait vraiment dommage, voire impardonnable, que la mort physique de Sheckley s'accompagne de sa mort éditoriale. Ce livre est enfin, aussi, l'excellente occasion de (re)découvrir Sheckley : ne la ratez pas !