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              ALBIN MICHEL
               640pp                -                24,90 €             
Critique parue en juillet 2025 dans Bifrost n° 119
Cinq ans après Une cosmologie de monstres (chroniqué dans notre n° 96), récit fantastique d’inspiration lovecraftienne, Shaun Hamill nous revient avec La Dissonance, roman qu’on pourrait imaginer écrit par Stephen King. Jugez-en plutôt : dans les années 90, quatre jeunes gens découvrent la théorie de la Dissonance, ou comment tirer des pouvoirs surnaturels en se plaçant dans un état d’esprit de souffrance et de stress propice à les invoquer. Il y a là Peter, fils de famille riche, orphelin et élevé par son grand-père, sommité de la Dissonance ; Athena, noire parmi les blancs et donc solitaire (on est à Clegg, au Texas) ; Hal, dont la mère enchaîne petits boulots dont elle se fait virer et compagnons plus ou moins violents ; et enfin Erin, qui cache derrière une apparence avenante des turbulences familiales… Vingt ans plus tard, en 2019, les survivants, qui semblent ne plus avoir de réel pouvoir, vont se retrouver pour la commémoration d’événements dramatiques s’étant déroulés à Clegg. Que s’est-il réellement passé au Texas dans les années 90 ? En quoi la Dissonance a-t-elle changé leurs vies ? Et quel est le rapport avec le mort-vivant rappelé lors d’un rituel satanique par Owen ? C’est ce que ce roman se propose de narrer, au travers d’une alternance de scènes actuelles et de flashbacks dévoilant progressivement l’itinéraire des adolescents.
Conçu comme un page-turner, ce roman est d’une redoutable efficacité, liée à une savante révélation des faits marquants de l’histoire, qui connaît son lot de retournements, est une construction implacable qui maintient le suspense au travers d’une narration alternée pendant les 600 pages du pavé. L’inspiration kingienne est évidente dans sa description d’un groupe d’amis ados, au sein duquel les liens se tissent ou se défont, amplifiés par l’âge des protagonistes qui évoque les premiers amours ; puis, en 2019, on comprend que leur évolution a été contrariée par les événements liés à la Dissonance, et que leur maturité tarde à venir. Les scènes actuelles, tout en répondant douloureusement aux souvenirs traumatiques du passé, agiront ainsi comme déclencheurs de mutations supplémentaires… Hamill le dit dans sa postface, il s’agit d’un roman sur l’amitié (écrit pendant la pandémie de la COVID-19), et celle-ci abreuve en effet chaque page — de même qu’une certaine nostalgie. L’autre intérêt du livre réside évidemment dans la fameuse Dissonance, dont la nature exacte est difficile à comprendre, et qui se traduit par des manifestations diverses ; elle rend possible beaucoup de choses (pouvoirs surnaturels, mondes parallèles, créatures fantasmagoriques, voire voyage dans le temps…), peut-être trop pour un esprit cartésien, notamment dans un final pyrotechnique à souhait, même si la maîtrise d’Hamill évite l’indigestion. Sans prétendre au chef-d’œuvre, un roman solide.
Bruno PARA