Stephen MARCHE
ACTES SUD
304pp - 22,50 €
Critique parue en juillet 2016 dans Bifrost n° 83
La dynastie Wylie reste un grand mystère et la mort de son aîné Ben, dont on vient de retrouver la dépouille nue, lovée dans la neige de l’Alberta, ne risque pas de modifier ce fait. Parfaite incarnation du mythe du self-made-man, la famille a bâti sa fortune, la huitième plus importante du monde, en amassant les milliards sur trois générations grâce aux médias, au pétrole et à l’immobilier. Réputés surtout pour leur avarice, les Wylie ont toujours fui les univers de la politique et de la célébrité, leur préférant l’ombre des marchés financiers. Pourtant, leur plus grand secret n’est pas celui de leur réussite. Il se trouverait plutôt caché dans leur demeure du Grand Nord canadien. Fils de ses gardiens, James Cabot en sait long sur le sujet. Il espère d’ailleurs en tirer un maximum de profit, histoire de s’offrir une vie dorée à New York…
L’annonce de la création de la collection « Exofictions » chez Actes Sud a suscité chez l’amateur de science-fiction une curiosité teintée de scepticisme. Fallait-il y voir une victoire à la Pyrrhus du genre ? Dans un monde où la science-fiction apparaît partout, l’hypothèse venait-elle confirmer les propos des thuriféraires d’une dissolution du genre dans le quotidien ? Près de trois ans plus tard, avec désormais plusieurs livres inscrit au catalogue, les choses semblent plus claires. Un Big commercial space opera, un feuilleton post-apocalyptique, plus quelques autres romans guère stimulants, si l’on fait abstraction de Lafferty, et peut-être de Vollmann, les choix de l’éditeur ne font que conforter les préjugés à l’encontre de la science-fiction et relèvent d’un traitement subliminal du genre. Et ce n’est hélas pas La Faim du loup de Stephen Marche qui viendra bouleverser la donne. On devrait d’ailleurs s’en tenir à la lecture de la quatrième de couverture qui place la barre très haut en matière de faux ami. Adonc, le roman de Stephen Marche serait un conte sanglant ? Le seul sang répandu dans La Faim du loup est celui reproduit sur la toile Le Loup attribué à Paul Klee. L’histoire serait également une « subtile et glaçante métaphore de la bestialité du capitaliste » ? Le mot est lâché : métaphore. À croire que la science-fiction et le fantastique se réduisent à ce procédé littéraire. L’image plutôt que la réflexion. Le cliché plutôt que la transgression. En fait, le roman de l’auteur canadien s’apparente surtout à une immense supercherie où l’argument fantastique n’apparaît qu’à la marge. Le loup-garou est ainsi utilisé comme une figure de style, un prétexte déroulé en mode mineur pour filer la métaphore et ponctuer l’histoire d’une touche d’étrangeté. À vrai dire, les mâles de la dynastie Wylie auraient été affligés d’un eczéma purulent au moment de la pleine Lune, cela n’aurait pas changé grand-chose à l’affaire. Bref, oubliez tous vos classiques, La Faim du loup n’est rien d’autre qu’une énième fresque familiale, celle d’un empire multinational, dont la construction balaie avec nonchalance le XXe siècle. Un récit monotone et nombriliste, où le fric sert de leitmotiv et où même les sarcasmes se révèlent dépourvus de mordant.
On renverra donc les aficionados de la lycanthropie vers Glen Duncan, autrement plus incisif et ironique avec la trilogie initiée par Le Dernier loup-garou. Entre l’ersatz et l’authentique, mieux vaut privilégier le second.