Dominique DOUAY
LES MOUTONS ÉLECTRIQUES
304pp - 23,00 €
Critique parue en janvier 2016 dans Bifrost n° 81
Après une première vague de rééditions parues dans la collection poche « Hélios » du collectif des Indés de l’imaginaire (qui réunit Actusf, Mnémos et les Moutons électriques), voilà le roman inédit que certains n’espéraient plus, le retour de Dominique Douay, figure incontournable de la SF française jusqu’aux années 1980, où il avait cessé d’écrire, ou du moins de publier. Un retour sous la forme d’un texte aussi intrigant qu’exigeant, une aventure kaléidoscopique à l’énigmatique titre, La Fenêtre de Diane.
L’entame du roman est longue, déroutante et n’atteint sa cohérence qu’à mesure que le projet d’écriture devient plus clair. Nous sommes en effet en présence d’une déstructuration du récit qui multiplie les couches de narration, doublée parfois d’un délitement de la phrase (non, ce ne sont pas des coquilles), n’hésitant pas à décrire une perturbation du réel par l’interruption brutale d’une phrase suivie d’un simple retour à la ligne.
Comment exposer son intrigue sans en révéler un élément essentiel ? Imaginez une planète lointaine, nommée Livre. Elle ne fait qu’une seule chose : collecter et imprimer à sa surface des récits de vies, des histoires venues de la Terre, de toutes les Terre ayant jamais existé. Mais le roman ne parle pas d’elle. Il raconte l’existence de Gabriel Goggelaye, un type banal s’il en est. Si ce n’est qu’il a un pouvoir, celui de guérir les gens, et peut-être aussi de voyager dans le cours de sa propre existence. Mais le roman ne parle pas que de lui. Nous croisons aussi un trio perdu dans Livre, bloqués sur un fil, sur une histoire d’une Terre. Et ce fil s’interrompt. Cette Terre sera détruite. Alors ils se promènent dans le temps, chacun poursuivant ses propres objectifs. Sont-ils les fantômes que Gabriel Goggelaye croit apercevoir parfois, à la lisière de sa vision ?
On a trop souvent réduit Dominique Douay à un épigone français de Philip K. Dick. La dette est assumée, c’est une évidence à la lecture du roman. Plus que par les thématiques, Douay est proche du Californien par son traitement des personnages, ne négligeant aucun de ces perdants magnifiques et profondément attachants. Enfin, loin de la nature même de la réalité, Douay explore plutôt les thèmes connexes du temps et de la mémoire à travers les plis d’un roman qui, tel un origami raffiné, à toutes les chances de ne ressembler à rien si on le déplie trop.
Au lecteur alors de s’abandonner à cette suite de glissements, de la France à l’Afrique, de l’espace profond à la planète Livre, qui sont autant de fragments d’une histoire qui risque continuellement de nous échapper. Voilà peut-être le cadeau précieux qu’offre La Fenêtre de Diane : nous donner l’expérience du vertige, sans jamais avoir l’impression de tomber.