Naomi NOVIK
PYGMALION
496pp - 21,90 €
Critique parue en mai 2020 dans Bifrost n° 98
Myriem a un don avec l’argent : elle sait où le trouver, elle sait comment le récupérer, et surtout, elle sait comment le faire prospérer. Normal, pour une fille et petite-fille de prêteur. Mais si son père a souvent échoué dans son métier parce qu’il écoutait ses bons sentiments, Myriem, elle, a compris qu’un cœur de glace lui permettrait d’éviter la misère, et plus que tout, de survivre. Ce qui se révèle être un défi de chaque jour dans leur contrée si particulière, où l’hiver est de plus en plus long, où chaque plante lutte pour pousser, où la nourriture vient à manquer, où les hommes sont égoïstes… Et où les Staryk, ces êtres froids qui règnent en maître féodaux sur leur pays (et qui ne sont pas sans rappeler les marcheurs blancs hantant un autre grand royaume de la fantasy), n’ont aucune pitié pour le peuple de Myriem. Malheureusement, le talent de la jeune femme ne passe pas inaperçu. Et quand le roi des Staryk lui demande de changer son argent en or, elle n’a d’autre choix que de se lancer corps et âme dans la tâche qui l’attend…
Naomi Novik reprend ici les éléments qui avaient fait le succès de Déracinée. S’inspirant de ses origines slaves, elle nous plonge dans un conte d’apparence traditionnelle, mais en y introduisant les codes de la fantasy moderne. Myriem pourrait être la fille d’un Rumpelstiltskin ambivalent, une créature sensible se cachant derrière ses grandes manières pour éviter de montrer sa souffrance et sa douleur. Froide, parfois cruelle – mais nécessité fait loi –, elle est aussi une représentation de femme forte qui décide un jour de ne plus subir le joug d’un destin masculin, mais de créer son propre chemin, malgré les obstacles, et de faire entendre sa voix. D’ailleurs, il est bien ici question de voix, celle de Myriem, qui porte le récit principal, mais celles aussi des autres femmes (et de l’enfant), qui alternent tout au long du roman, et qui filent toutes ensemble une histoire dont le motif principal est composé de nombreuses volutes.
Et c’est précisément là que le lecteur peut trouver son véritable plaisir littéraire : le détail est plus intéressant à observer que la tapisserie toute entière… Chaque chapitre crée un ornement différent et unique, et les petites voix glacées et frileuses sont toutes aussi essentielles que les grandes chansons flamboyantes. Certes, la trame de fond a un aspect de déjà-vu, l’écriture n’est pas révolutionnaire, et on pourrait trouver quelques personnages trop ternes… mais l’ambiance polaire (ou volcanique selon le chapitre) est rendue avec une belle justesse, l’effleurement stylistique des personnages tient de la pudeur et de la protection glacée, maîtrisées par l’écrivain, et quand l’action classique vient à manquer, elle se déploie en fait sur des fils internes si fins qu’ils échapperaient presque au spectateur trop rapide.
Une belle histoire, donc, qui nous rappelle qu’un chuchotement bref est parfois bien plus tonitruant qu’un brouhaha de cris, et que sous la glace brûle souvent un feu insatiable…