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Les critiques de Bifrost

La Fille aux cheveux noirs

La Fille aux cheveux noirs

Philip K. DICK
FOLIO
192pp - 8,30 €

Bifrost n° 27

Critique parue en septembre 2002 dans Bifrost n° 27

Il ne s'agit pas là d'un roman inédit, plutôt d'un recueil de lettres entrecoupé de relations de rêves correspondant à la période 1972-1976, qui est pour l'auteur cruciale à plus d'un titre. Dick touche le fond : ses biens sont saisis par le fisc, il tente de se suicider, il est sans attaches, hébergé par de compatissants admirateurs, ne parvient pas à écrire et tombe à chaque rencontre irrésistiblement amoureux, avec la même désarmante naïveté, du même type de jeune fille aux cheveux noirs, d'environ vingt ans, fragile et forte à la fois. C'est aussi durant cette période qu'il connaît sa première crise mystique, mais de cela, il ne sera jamais question dans son courrier.

L'essentiel des lettres tourne autour de cet idéal féminin, qu'il se nomme Kathy, Jamis, Linda ou Tessa, auxquelles Dick adresse de bouleversantes lettres d'amour comme on n'en lit jamais. Mais il analyse également son état et s'interroge inlassablement sur le réel. Il est rare qu'un auteur se mette ainsi à nu, dévoilant des pans entiers de sa personnalité, même les moins favorables. Le petit monde de la S-F est également présent : Ursula Le Guin à qui il écrit, Tim Powers qui l'hébergera et Norman Spinrad, lequel rappelle judicieusement dans sa préface que ce livre « n'est ni un roman, ni une biographie, ni des mémoires, ni un traité philosophique, même si en un sens il est tout cela à la fois. »

On pourra bien sûr se reporter utilement à la biographie de Lawrence Sutin pour débrouiller l'écheveau des événements et des relations, ou encore relire quelques chapitres de ses fictions où le vécu est amalgamé à la trame romanesque. Ainsi, on aurait tort de ne voir dans la jeune fille aux cheveux noirs que le fantasme d'un quadragénaire abhorrant la solitude alors qu'elle représente, comme il l'écrivit dans son discours prononcé à Vancouver, l'humain véritable, opposé à l'androïde peint sous les traits d'une mante religieuse. Dick, trop horrifié par ce second volet de sa tentative de définition, n'a pu se résoudre à la traiter ici.

Ces lectures multiples sont donc impuissantes à dégager une réalité objective : jamais une vie et une œuvre ne se sont confondues de façon si intime et irréductible. C'est bien ce qui est fascinant dans ce recueil où Dick, mis à nu, demeure malgré tout déconcertant, aussi insaisissable que le réel qu'il chercha à cerner. Reste à se demander si un tel ouvrage mérite la diffusion grand public du poche : les lecteurs de S-F s'attendant à lire un roman délirant en seront pour leurs frais ; seuls les inconditionnels de Dick apprécieront ce livre dans sa juste perspective.

Claude ECKEN

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