Après le très plaisant Mexican Gothic, Silvia Moreno-Garcia revient avec un nouveau roman qui emprunte une fois encore à la littérature anglaise de la fin du XIXe siècle. Elle a cette fois jeté son dévolu sur H.G. Wells en revisitant l’un de ses plus célèbres récits, L’Île du Docteur Moreau. Pas une suite, plutôt une réécriture dans un cadre différent – une manière de fan fiction, en somme. L’île perdue au milieu de nulle part est remplacée par la péninsule du Yucatan, au sud-est du Mexique, à une époque où les populations autochtones se soulèvent contre les grands propriétaires terriens. Dans ce contexte, la création par Moreau d’hybrides mi-hommes, mi-animaux, prend une toute autre signification, puisqu’il s’agit ici de donner naissance à une main-d’œuvre bon marché et peu revendicatrice.
Le roman alterne les points de vue de deux personnages, Montgomery, le majordome des lieux, qui partage avec le personnage homonyme du roman de Wells un sérieux penchant pour la bouteille, et Carlota, la fille du docteur, qui a grandi au milieu des créations de son père et ne connaît du monde extérieur que ce qu’elle en a lu dans les livres.
Là où le récit de Wells s’avérait frénétique d’un bout à l’autre, La Fille du Docteur Moreau est un roman qui prend son temps pour poser son décor et ses protagonistes. Moreau n’y apparaît plus comme un tortionnaire sadique, mais comme un homme de son époque pour qui science et progrès social vont de pair, quand bien même il s’agit au final de remplacer une population exploitée par une autre. Dans le cadre très corseté où elle évolue, Carlota va bientôt découvrir que la liberté dont elle jouit est toute relative, et que l’amour de son père s’arrête là où ses intérêts entrent en jeu.
Aussi agréable à lire soit-il, le roman de Moreno-Garcia n’est pas pour autant exempt de tout reproche. En premier lieu, il fonctionne trop en huis-clos pour donner à voir la réalité historique et sociale sur laquelle il s’appuie, préférant s’appesantir sur les émois amoureux de son héroïne. Plus gênant, tout s’y enchaîne de manière bien trop prévisible, jusqu’au coup de théâtre révélé aux deux tiers du livre, mais que l’on devinait sans mal dès les premiers chapitres.
Malgré tout, La Fille du Docteur Moreau n’est pas un mauvais roman, Carlota est un personnage suffisamment touchant pour qu’on s’attache à elle et qu’on prenne plaisir à lire son histoire, mais il n’est pas raisonnable d’en attendre davantage.