Christina SWEENEY-BAIRD
GALLMEISTER
480pp - 25,50 €
Critique parue en juillet 2022 dans Bifrost n° 107
On peut raisonnablement supposer que Christina Sweeney-Baird a vécu une année 2020… intéressante. En janvier, elle signait un contrat pour son premier roman, La Fin des hommes, une histoire de pandémie mondiale. Deux mois plus tard, la covid la clouait au lit. Par la suite, elle a sans doute suivi avec un intérêt tout particulier l’évolution de la maladie et son impact sur nos sociétés. Dans tous les cas, en écrivant ce livre, elle n’imaginait certainement pas que le public le lirait à l’aune de son propre vécu de ces deux dernières années.
Certes, le virus que décrit Sweeney-Baird est très différent du nôtre. Plus sélectif – il ne touche que les individus de sexe masculin, quel que soit leur âge –, mais beaucoup plus mortel, dans neuf cas sur dix environ. L’effondrement de pans entiers de la société n’en est que plus rapide et spectaculaire, en particulier dans les domaines occupés en grande majorité par des hommes, et la géopolitique s’en trouve réécrite à grande échelle, d’une manière bien plus radicale que ce que nous avons pu connaître. Reste que notre réel ne vient que rarement contredire la vraisemblance des faits que met en scène la romancière. Il est permis de tiquer lorsqu’elle décrit, au plus fort de la pandémie, un rendez-vous romantique dans un bar à cocktail, mais ces moments sont peu nombreux. Pour le reste, son récit sonne le plus souvent juste, qu’elle évoque les errements et les mensonges des autorités, les absurdités administratives, la paranoïa et le complotisme en ligne ou les violences conjugales.
L’une des principales réussites du roman est de s’intéresser autant aux grands bouleversements mondiaux qu’aux tragédies les plus intimes, en mêlant le plus souvent les uns aux autres. Par l’entremise d’une douzaine de narratrices – et d’un occasionnel narrateur – Sweeney-Baird met en lumière tout le tragique de ces destins brisés, ainsi que le deuil, la colère et la culpabilité qui en résultent, sans jamais perdre de vue sa vision d’ensemble des événements, jusqu’à l’émergence d’une société nouvelle, potentiellement meilleure que la précédente. Dans un registre que la science-fiction a beaucoup visité depuis au moins Le Dernier homme de Mary Shelley, La Fin des hommes, sans être particulièrement innovant dans sa forme ou son propos, peut se targuer d’une qualité constante de bout en bout.