Clark Ashton SMITH
ACTES SUD
112pp - 14,00 €
Critique parue en avril 2014 dans Bifrost n° 74
À sa mort, Clark Ashton Smith (1893-1961) était encore totalement inconnu en France. Il est vrai que la situation de Robert E. Howard n’était pas meilleure et que Lovecraft lui-même commençait tout juste à pointer le bout de son nez. La science-fiction était alors en vogue, tandis que le fantastique était au creux de la vague et que la fantasy, patiemment, attendait son heure.
Un premier et gros recueil de C.A. Smith, Autres Dimensions, jamais réédité depuis, devait voir le jour en 1971, chez Christian Bourgois. Cependant, ce sont les années 80 qui allaient être sa décennie de gloire en France. D’abord, deux recueils à la Librairie des Champs Elysées, Poséidonis et Zothique, puis sept autres (sur huit volumes) aux Nouvelles Editions Oswald (L’Ile inconnue, Ubbo Sathla, L’Empire des nécromants, La Gorgone, Le Dieu carnivore (en deux tomes), Les Abominations de Yondo et Morthylla) mettraient la quasi totalité de ses nouvelles à portée du public français.
Avant que le silence des tombeaux ne s’appesantisse à nouveau sur l’œuvre de Smith…
Seul le micro éditeur La Clef d’Argent continua à s’intéresser à l’auteur d’Auburn. Plus récemment, un autre micro éditeur, L’Œil du Sphinx, s’attacha à faire connaître d’autres facettes de l’œuvre de Smith, dont toute la considérable poésie restait encore inaccessible hormis quelques échantillons publiés naguère dans le numéro 9 de la revue Antarès.
La publication de cette plaquette marque le retour de Smith chez un « grand éditeur », mais à quelles fins ? Pourquoi publier une unique nouvelle sous la forme d’une plaquette à la triste couleur chair qui ne coûte pas moins de quatorze euros pour seulement 107 pages ? C’est cher, même pour la nouvelle traduction d’un texte que l’on trouve sans difficulté sur le marché de l’occasion dans le recueil L’Ile inconnue (NéO), et surtout pour trois fois rien dans l’anthologie de Jacques Sadoul Les Meilleurs Récits de Wonder Stories, pulp où la VO fut publiée dans les numéros de juillet 1931 pour la première partie, et novembre 1931 pour la seconde. L’entreprise d’Actes Sud me semble bien hasardeuse à une époque où Internet permet de trouver aisément presque tous les livres que l’on souhaite…
La Flamme chantante n’est pas typique de la production de l’auteur. Que ce récit ait été publié dans Wonder Stories, plutôt que dans Weird Tales, la mythique revue de Farnsworth Wright qui accueillait dans ses pages les auteurs du cercle lovecraftien, dont Smith n’était pas le moindre, est significatif. C’est un récit de science-fiction dont la manière, bien datée aujourd’hui (dans un coin perdu du Nevada s’ouvre une porte vers l’ailleurs, une autre dimension), n’en fit pas moins les choux gras de l’un des auteurs les plus ré-putés des années 30, Abraham Merritt, qui recourut à semblable artifice à maintes reprises (Le Gouffre de la Lune, pour ne citer qu’un exemple). Smith use aussi du procédé consistant à faire d’un personnage fictif intermédiaire entre lui-même et le principal protagoniste, le récipiendaire du récit, technique qu’utilisera James Hilton dans Horizon perdu deux ans plus tard.
Si le processus narratif de la première partie date, la seconde partie du récit, directe, souffre des descriptions des dimensions supérieures merveilleuses auxquelles les protagonistes accèdent — ne reste au final qu’une confiture de mots assez peu évocatrice, Smith échouant ici à montrer juste assez pour suggérer. Malgré sa facture ancienne, la première partie se révèle bien mieux réussie que la seconde.
Clark Ashton Smith mérite sans doute aucun que l’on reprenne ses nouvelles en un fort volume du type Omnibus ou « Bouquins ». Mais on reste dubitatif quant à l’opportunité de cette édition d’une nouvelle qui n’est pas de ses toutes meilleures.