George R.R. MARTIN
ACTUSF
320pp - 19,00 €
Critique parue en janvier 2015 dans Bifrost n° 77
Voici donc le cinquième ouvrage et le troisième recueil de George R. R. Martin chez ActuSF. Point ne sert de se voiler la face : il faut bien admettre que ses meilleurs textes ont été traduits depuis longtemps, même si ce qui reste est encore très acceptable.
Pourtant, ça commence franchement mal avec « La Fleur de verre », novella qui occupe un quart du volume (aïe) et qui est beaucoup trop longue bien qu’elle date de 1986, époque où l’auteur avait déjà donné nombre de chefs-d’œuvre. ActuSF ne fournit pas d’indication bibliographique, aussi ne sait-on pas quel fut le parcours du récit avant qu’il ne trouve preneur. Ce texte s’inscrit dans l’univers de space opera que Martin a créé pour L’Agonie de la lumière (J’ai Lu) et plusieurs autres nouvelles, souvent remarquables. Ici, Martin nous entraine hors de l’espace humain, sur Croan’dhenni, où Cyrain propose un jeu de vie et de mort à l’aide d’un très ancien artefact qui permet la transmigration d’un esprit dans un autre corps à conquérir de haute lutte. Certains jouent contraints et forcés, d’autres paient des fortunes pour ça. Sa rencontre avec l’immortel cyborg Kleronomas ne sera pas sans conséquences… Martin aime les personnages et il revient sur le passé de l’un et de l’autre longuement, beaucoup trop longuement.
Bien plus récent puisque daté de 2009, « Une nuit au chalet du lac » est un hommage à Jack Vance et au monde de la « Terre Mourante ». C’est aussi une des rares incursions que Martin s’autorise encore dans la forme (relativement) courte, tout occupé qu’il est par « Le Trône de Fer ». Ce texte, qui occupe un autre quart du volume, constitue lui aussi une variation sur le thème de la transmigration. En dépit de sa longueur, Martin y cultive l’art de la chute et un certain humour qui va de pair — un humour un peu sombre, faut-il le préciser. C’est un texte agréable mais certainement pas un chef-d’œuvre !
Nettement plus court, « Cette bonne vieille Mélodie » ressemble longtemps à un texte de littérature générale. Quatre étudiants partageant un appartement nouent un pacte d’entraide à jamais un soir de cuite, et puis la vie les sépare, chacun vivant la sienne et faisant carrière… Sauf Mélodie ! Véritable musée à emmerdes qui ne cesse de se rappeler aux bons soins de ses ex-colocataires. La plaie, quoi ! Une nouvelle qui finira par basculer dans l’horreur et qui s’avère une réussite.
Lauréat du prix Locus, « Le Régime du singe », que l’on avait pu lire dans Bifrost voici deux ans (n°67), est un exemple tout à fait remarquable d’horreur sociale. Martin est lui-même assez corpulent, et l’on peut penser que cette situation lui a inspiré au moins deux textes très forts, pour ne pas dire exceptionnels : celui-ci et « L’Homme en forme de poire », également publié dans Bifrost (n°33) et tout autant repris par ActuSF (dans le recueil Dragon de glace). Son talent s’y exprime à pleine puissance et il sait comme peu vous remuer les tripes. Sans conteste le meilleur morceau de ce recueil, et l’occasion d’un rattrapage pour ceux qui l’ont manqué dans Bifrost.
Traduit dans Fiction voici plus de trente ans, « L’Homme aux aiguilles », inspiré d’une légende urbaine, trouve aujourd’hui une nouvelle jeunesse. Ce récit ne déparerait aucune anthologie de polar contemporain, où le crime se pavane très volontiers revêtu des sombres atours de l’horrible. On saura en apprécier toute l’amère saveur.
Texte d’un tout jeune Martin, datant de 1967, « Y a que les gosses qui ont peur du noir » croise thématique lovecraftienne et super-héros de comics. Il s’agit vraiment d’un récit de jeunesse perclus de défauts, et on aurait beaucoup gagné à une notice bibliographique expliquant le contexte de sa ré-daction. Si la nouvelle n’est pas en soi d’un grand intérêt propre, elle montre cependant que Martin s’intéressait déjà aux thèmes des « Wild Cards » dont le premier tome vient de sortir chez J’ai Lu. On peut appeler ça avoir de la suite dans les idées…
« On ferme », pochade sheckleyenne à l’humour ravageur, clôt le recueil sur un grand éclat de rire.
Plusieurs textes valent ici encore le détour, et Martin a suffisamment de talent pour que même ses fonds de tiroir présentent autant — voire davantage — d’intérêt que les textes de bien d’autres. Nulle déception au final, donc, car on sait à quoi s’attendre. Mais La Fleur de verre ne sera certainement pas une priorité. Un tel recueil ne concerne désormais plus que le fan de l’auteur. Le fan hardcore…