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Les critiques de Bifrost

La Foire aux atrocités

James Graham BALLARD, Jean-Jacques SCHUHL, François RIVIÈRE
TRISTRAM
224pp - 20,00 €

Critique parue en janvier 2004 dans Bifrost n° 33

Né en 1930 à Shanghai, interné par les Japonais dans un camp de prisonniers civils à la suite de l'attaque sur Pearl Harbor, médecin raté, pilote dans la RAF, grand amateur d'art moderne, concepteur-organisateur d'une exposition sur les accidents de voiture, J. G. Ballard est un des auteurs majeurs du XXe siècle, un des rares écrivains — plus de trente livres publiés — qui se soient attaqué à ce siècle, tel un chevalier, visionnaire et pervers, désireux de décrypter les courants souterrains d'une époque incompréhensible, trop complexe pour la plupart des gens. Will Self présente l'édition 2001 de La Foire aux atrocités de la façon suivante « … le summum du roman expérimental en Angleterre. Les annotations de Ballard dans cette version définitive constituent un tour de force et sont par elles-mêmes une œuvre totalement originale. » Tout est dit ou presque, roman expérimental (illisible ?) complété en 2001, un tour de force. Mais essayons d'aller plus loin… de fournir quelques clés.

1/ Comment lire La Foire aux atrocités ?

Deux méthodes connues.

a) La méthode dite classique, éprouvante, qui consiste à lire le livre dans l'ordre. b) Celle préconisée par l'auteur dans sa préface de l'édition 2001 : « Quant aux lecteurs qui se sentiraient quelque peu intimidés par la déconcertante structure narrative de La Foire aux atrocités (quoiqu'elle soit beaucoup plus simple qu'il y paraît au premier regard), ils devraient tenter une approche différente. Au lieu de commencer chaque chapitre par son début, comme dans tout roman traditionnel, contentez-vous d'en tourner les pages jusqu'à ce qu'un paragraphe retienne votre attention. Si quelque idée ou quelque image vous y semble intéressante, balayez alors du regard les paragraphes voisins jusqu'à ce que vous y trouviez quelque chose qui résonne en vous de façon à piquer votre curiosité. »

Deux méthodes connues, donc, et plusieurs à inventer.

2/ Qu'est-ce que La Foire aux atrocités ?

Plusieurs hypothèses.

a) Personne n'en sait rien, l'auteur y compris, mais plus malin que les autres, il se permet de faire semblant de savoir ; c'est ce qu'on appelle le « privilège de l'auteur ». b) Un livre collage sur les symboles et autres icônes des années 60 : Marilyn Monroe, Malcolm X, J. F. K, Elizabeth Taylor, Abraham Zapruder, Ralph Nader, la guerre du Viêt-nam, Jackie Kennedy, Lee Harvey Oswald. c) Une présucée de Crash ! dopée au napalm et au pop art, rythmée par le vacarme des hélicoptères Bell. d) Une galerie de peintures dans un hôpital psychiatrique. e) Une œuvre mineure de Williams S. Burroughs, signée par un anglais afin de respecter un système de quotas inconnu du commun des mortels. f) Une tentative plutôt aboutie de conciliation de l'architecture et de la sexualité.

3/ Est-il vraiment nécessaire de lire La Foire aux atrocités ?

a) Oui. b) Non. c) Il existe autant de réponses à cette question qu'il y a de lecteurs sur Terre.

4/ Comment choisir entre La Foire aux atrocités (traduction de François Rivière) et Le Salon des horreurs (traduction d'Elisabeth Gille) ?

a) Certaines sources bien informées se sont répandues en injures quand elles ont appris que les éditions Tristram reprenaient la traduction de Rivière et non celle de Gille. b) Certaines sources bien informées ont poussé un soupir de soulagement quand elles ont appris que les éditions Tristram reprenait la traduction de Rivière et non celle de Gille. c) Le rédacteur de la présente chronique serait tenté de faire un mix des deux ; mix qu'il prolongerait jusqu'au contenu même des deux éditions en intégrant au Salon des Horreurs les commentaires de Ballard datant de 2001 (passionnants), la préface de Burroughs datant de 1990 (intéressante) et en virant le texte grotesque de Jean-Jacques Schuhl qui n'a visiblement rien compris au pudding.

En conclusion, La Foire aux atrocités est à la fois un livre majeur, un truc sans intérêt maintenant que nous sommes au XXIe siècle, et un majeur tendu au lecteur, aux critiques, qu'ils soient coincés ou non, et au XXe siècle défunté par la Shoa, l'agent orange et les architectes neo-puritains. Chapeau monsieur Ballard, vous avez parfaitement orchestré l'accident : les années 60 sont entrées en collision avec la littérature et les victimes déambulent sur Mulholland Drive, dans les bunkers de la Seconde guerre mondiale, hébétées, à peine capables de regarder Hollywood ou Utah Beach en contrebas.

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